La torah, une loi de vie

1. La Thora précéda le monde


Synagogue d’Akko, Saint Jean d’Acre, au Nord d’Israël

La Thora fut donnée dans les faits au monde longtemps après sa création. On aurait pu penser qu’après que le monde fut créé des carences spirituelles s’y étaient révélées, et que la Thora lui fut donnée pour réparer ces lacunes. Mais il n’en fut pas ainsi.

La Thora précéda le monde.  [Pessahim 54a ; Midrach Berechit Raba 1, 5]

Le Saint-Béni-Soit-Il regardait dans la Thora et Il créait le monde.  [Midrach Berechit Raba 1, 1]

La Thora est le programme, le modèle idéal selon lequel le monde fut créé. Elle est le but, la nature, l’essence et l’âme du monde. Elle est son ordre, sa loi intérieure, le monde tel qu’il doit être, et tel qu’il sera à la fin. Notre travail d’hommes consiste à accorder le monde avec la Thora.

On comprendra mieux cette idée à partir de la conception opposée. La théorie existentialiste dit que le monde n’a pas de signification ni d’essence propre, mais seulement une réalité : c’est un fait, tu existes, j’existe. Et à partir du moment où j’existe, je vais essayer de définir un contenu et un sens à ma vie en usant de ma liberté et de ma responsabilité, car la vie en elle-même n’a aucun sens.

En réalité, pour les objets fabriqués par l’homme comme une table par exemple, tout le monde s’accorde à reconnaître que l’essence et la fonction de l’objet existaient avant qu’il fût créé. Autrement dit, avant d’avoir eu l’idée de faire une table, le ‘menuisier’ avait quelque chose qui lui servait à poser d’autres objets. C’est à la suite de cela qu’il imagina le plan de la table, puis il la construisit selon ce plan primitif. L’essence de la table a donc précédé son existence.

Mais selon les existentialistes, ni l’homme ni le monde n’ont de ‘menuisier’ qui les aurait pensés et réalisés selon son plan. D’après eux, il n’y a pas de maître du monde, et même s’il existe un en tant que créateur, il n’éprouve aucun intérêt pour le monde qu’il a créé, et il ne se soucie aucunement de ce qui s’y passe. Dans tous les cas, il n’y a aucun programme et il n’y a aucun but, ni au monde ni à la vie. L’homme est ‘jeté’ dans l’univers, et personne n’attache d’importance à son sort. Et il est là, l’homme, à se demander ce qu’il va faire de lui-même, quel contenu et quel sens il peut donner à sa vie, car elle est en elle-même privée de sens. C’est l’homme, par sa liberté et par ses actes, qui donne un sens à sa vie. Voilà ce que prétendent les existentialistes, et notamment les athées.

Mais nous, nous disons : “la Thora précéda le monde”. La nature profonde, le sens de la vie, ont précédé son existence. L’homme n’est pas l’inventeur des valeurs, ni le créateur des significations. Le sens des choses existe depuis toujours, bien avant que l’homme existât, mais il ne se dévoilera dans les faits qu’à la fin.

La fin d’une action est dans la pensée initiale.  [Cantique ‘Lekha Dodi’ pour l’accueil du Chabbat, composé par Rabbi Chlomo Alkabetz]

Ce qui était au début, avant la création de tout être, dans la pensée du Saint-Béni-Soit-Il, se dévoilera à la fin, dans les derniers jours du monde. À quoi peut-on comparer cela ? À un nouveau-né. Que voit-on chez lui ? Le boire et le manger, rien que la corporalité. Ensuite, il grandit et il acquiert des côtés spirituels : il étudie et il prie. Faut-il comprendre que son âme se forme à ce moment-là ? Certainement pas. Son âme existait dans le ‘magasin’ des Cieux dès avant sa naissance, elle fut projetée ensuite dans son corps, mais au début n’apparaissent que les côtés corporels, et seulement après la spiritualité. L’âme vient en premier à l’existence, mais c’est le corps qui la précède dans le dévoilement.

Et de même que tout homme avait une âme avant d’être né, le monde aussi avait une âme avant d’être créé. La Thora est l’âme du monde, elle est la force intérieure qui le fait vivre, elle est son but et son essence. Cependant, comme l’âme du nouveau-né ne se dévoile qu’à un stade tardif de son développement, l’âme du monde ne se révèle pas tout de suite après sa création, elle apparaît progressivement au cours de l’histoire.

Par conséquent, quand nous étudions la Thora, nous rencontrons notre propre nature, notre identité profonde et notre âme. Nos Sages ont développé cette métaphore au sujet du fœtus dans le ventre de sa mère :

Il a une lampe allumée sur sa tête, et il regarde et observe le monde d’un bout à l’autre… Il n’y a aucun moment où l’homme est plongé dans le bien-être plus que dans ces jours-là… On lui enseigne toute la Thora dans son entièreté… Et dès qu’il arrive à l’air libre, un ange vient lui couvrir la bouche, et il lui fait oublier la Thora complètement… Il ne sort de cet oubli que lorsqu’on le fait prêter serment :… “Sois un juste et non un méchant… et sache que le Saint-Béni-Soit-Il est pur… et que l’âme qu’il t’a donnée est pure”.  [Nida 30b]

La Thora entière est présente au fond de l’homme avant sa naissance, mais dès qu’il arrive à l’air libre il oublie tout. Quel est alors le propos de lui faire apprendre la Thora dans le ventre de sa mère, si c’est pour la lui faire oublier ensuite ? Ici vient s’exprimer l’idée que la Thora fait partie de la nature de l’homme avant sa naissance. Elle est gravée dans son intériorité, dans les lettres de son âme, avant d’être écrite en lettres d’encre sur un livre, et en lettres de parole et de pensée sur sa bouche et sur son esprit. C’est pourquoi, quand nous étudions la Thora, nous n’apprenons rien qui nous soit étranger ou inconnu. Nous nous rappelons seulement ce que notre âme a appris dans le ‘magasin’ des cieux.

2. Le début du dévoilement de Dieu dans le monde – les “deux mille ans de chaos”


2.1. La recherche de Dieu

2.2. Le ‘derekh eretz’ précéda la Thora


2.1. La recherche de Dieu

Puisque la Thora est notre âme et notre être profond, et non une chose extérieure, on pourrait croire que l’homme n’a pas besoin de livres pour apprendre la Thora, et qu’il lui suffit d’apprendre en écoutant la voix de son âme, la voix de Dieu qui l’interpelle du fond de lui-même, d’après ce que nous venons de dire la chose semble fondée. Mais le problème, c’est que l’homme qui tente d’apprendre de lui-même ne peut pas savoir avec certitude s’il puise dans la profondeur de son âme pure, ou s’il ne pêche pas plutôt dans les scories de sa propre vie. C’est une réalité que l’âme est pure, mais son exploration a toutes les chances d’être dévoyée par les sinuosités de la vie de l’explorateur.

C’est ainsi que pendant les deux mille ans qui suivirent la création du monde, la période qui précéda le don de la Thora, l’homme essaya de puiser une Thora de lui-même. Il rechercha le Maître du monde en écoutant la voix divine qui s’élevait en lui, mais il ne Le trouva pas. Plus précisément, il trouva autre chose : l’idolâtrie [voir Rambam, Lois sur l’idolâtrie 1, 1-2]. Tel fut le résultat des recherches de l’homme, de ses tâtonnements et de ses balbutiements pour trouver le Maître du monde derrière la vérité intérieure cachée dans les profondeurs de son âme et dans toute existence.

L’idolâtrie ne fut pas le seul résultat des appels pressants de cette voix intérieure, de la voix divine qui l’interpellait avec force au fond de son âme. Il y eut aussi tous les mouvements de spiritualité, tous les courants idéologiques, toutes les productions culturelles, morales, religieuses, politiques et sociales ; tout cela fut la manifestation dans la réalité de l’impulsion intérieure de l’homme vers le bien absolu, qu’il en fût conscient ou non [voir l’article ‘Kirvat Elokim’ du Rav Kook, dans ‘Maamaré Haréaïa’ p.32].

2.2. Le ‘derekh eretz’ précéda la Thora

Pourquoi la Thora ne-fut-elle pas été donnée aussitôt dès la création du monde ? Pourquoi le Saint-Béni-Soit-Il laissa-t-il l’homme s’égarer, et se rouler pendant deux mille ans dans la boue de l’idolâtrie, du meurtre et du vol, comme on le voit dans les générations du Déluge et de la Tour de Babel ? Puisque les hommes étaient dépourvus de la sensibilité profonde, morale et pure, pour se diriger d’eux-mêmes, pourquoi ne pas leur donner une Thora pour les remettre sur la bonne voie ?

Réponse : parce que les hommes étaient dévoyés du point de vue moral, et que si la Thora leur avait été donnée, ils l’auraient dévoyée elle aussi, car on peut tout dévoyer. N’ayant pas reçu la Thora, c’étaient des ‘irreligieux dévoyés’, mais si la Thora leur avait été donnée, ç’aurait été des ‘religieux dévoyés’, ce qui est bien pire. Car quand un homme est religieux, il a ‘un étage de plus’ que le non religieux, celui la Thora. Le religieux dévoyé a donc lui aussi un étage de plus que l’irreligieux dévoyé : celui du dévoiement religieux ! [Voilà pourquoi] le derekh eretz[= droiture et savoir vivreprécéda la Thora.

Pendant vingt-six générations le derekh eretz précéda la Thora.  [Midrach Vayikra Raba 9, 3]

S’il n’y a pas de derekh eretz, il n’y a pas de Thora.  [Traité des Pères 3, 17]

Le derekh eretz, au sens d’un comportement sociable, d’une vie de travail, d’une importance fondamentale donnée à la famille, d’un comportement généreux, autrement dit d’une ‘normalité humaine’, précède la Thora. La Thora se situe au-dessus des normes communes, mais il faut commencer par être des humains normaux : avant tout, les qualités humaines, l’humanisme. Tant que les gens ne sont pas normaux dans ce sens-là, il n’y a pas d’adresse pour livrer la Thora, il n’y a personne à qui parler, personne qui pourrait la comprendre. Et remettre la Thora à des gens mal éduqués, dépourvus des qualités humaines de base, risquerait fort d’avoir l’effet inverse et de faire du tort à l’humanité. C’est pourquoi, quand un non-Juif vint chez Hillel pour se convertir, celui-ci lui enseigna dès le début du processus :

Ce qui est détestable pour toi, ne le fais pas à ton prochain.  [Chabbat 31a]

Avant tout, mets en pratique ce principe élémentaire, qui est la base du comportement humain. Ensuite tu pourras ajouter par-dessus, et construire des étages supplémentaires de Thora.

Le Livre de la Genèse est le livre de la Thora qui traite de la période précédant le don de la Thora. En réalité, la Thora aurait dû commencer par la parachat Bo du Livre de l’Exode, où apparaît la première mitsva donnée à Israël [voir Rachi sur Genèse 1, 1]. Cependant elle commence par le Livre de la Genèse, qui ne contient presque pas de mitsvot mais qui vient nous enseigner les principes fondamentaux. C’est le ‘Livre de la Droiture’, le livre des Patriarches au cœur droit, qui apprend à l’homme à être droit. La Thora ne peut se dévoiler que sur des gens droits. La simple morale précède la Thora, et avant que ce principe moral pénètre les cœurs, il s’écoula beaucoup de temps“deux mille ans de confusion” [Sanhédrin 97a-b], des années de tâtonnements, d’erreurs et d’échecs, jusqu’à l’apparition de la lumière du monde : Avraham notre père.

Une pensée sur “La torah, une loi de vie

  • 20/09/2019 à 21:14
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    Merci Madame pour ces textes très utiles.
    Dans un langage simple, ils permettent de comprendre les choses les plus importantes et de se connecter à la lumière divine.
    « Par Ta Lumière, nous voyons la lumière » est-il dit.

    « Que la lumière soit! »
    A-t-il dit, avant de commencer la création.
    Celle-ci se poursuivra, osons nous espérer, malgré l’alternance des soirs et des matins qu’il pourra y avoir.
    Permettant d’évoluer, cette alternance est même souhaitable.
    Shabbat Shalom!

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