La crise des « Rohingyas »: réalité, rumeurs et ramifications

La crise des « Rohingyas »: réalité, rumeurs et ramifications

Le monde entier, et tout particulièrement l’Oumma, est outré par ce qui est dépeint comme un génocide perpétré contre des Musulmans au Myanmar, mais la réalité des événements qui s’y déroulent est beaucoup plus complexe que n’en laissent penser les rumeurs simplistes tandis que les ramifications géopolitiques de cette crise pourraient devenir très étendues.

D’emblée déclarons que tuer des gens innocents est inacceptable, et tous sont fondés à ressentir de l’outrage quand ils pensent que c’est en train de se passer comme c’est parfois clairement le cas dans l’État côtier d’Arakan, au Myanmar. Toutefois, il est question d’identifier ceux qui commettent réellement ces actes et pourquoi, et de déterminer si les victimes ont été volontairement ciblées ou constituent des « dommages collatéraux », que ce soit suite à une opération militaire « anti-terroriste » ou à une action « rebelle » dirigée contre le gouvernement. Il importe également de songer aux ramifications géopolitiques possibles de cette situation, en rapport aux dynamiques plus vastes actives dans la Nouvelle Guerre Froide.

Revue de l’Arakan

Afin de simplifier la situation par volonté de brièveté, les Rohingyas sont des Musulmans qui résident dans la partie septentrionale de l’État d’Arakan et se proclament natifs de la région, tandis que le gouvernement birman affirme qu’ils ne sont que des migrants bengalis et leurs descendants, ayant commencé à s’installer dans la région suite à l’imposition de la férule coloniale britannique à la fin du dix-neuvième siècle. L’autre groupe démographique majeur de ce territoire est celui du peuple d’Arakan, constitué de Bouddhistes héritiers de l’histoire du dynastique Royaume de Mrauk U.

La période qui a immédiatement suivi l’indépendance du Myanmar, connu sous le nom de Birmanie jusqu’en 1989, a vu les nombreuses minorités ethno-religieuses peuplant sa périphérie riche en ressources se rebeller contre les autorités centrales en faveur de la fédéralisation ou, comme le voulaient les Rohingyas, de l’unification avec l’état voisin auquel ils s’identifiaient le plus (le Pakistan Oriental, Bangladesh depuis 1971), déclenchant ainsi la plus longue guerre civile encore en cours dans le monde.

En ce qui concerne l’État d’Arakan, ce conflit a connu des périodes plus ou moins actives au fil des décennies, atteignant récemment des sommets en 2012, en 2015 et tout dernièrement cet été, les trois dernières escalades ayant débouché sur une reprise des violences commises par certains Bouddhistes hyper-nationalistes majoritaires contre la population musulmane minoritaire. En réaction, les Rohingyas paupérisés, qui ne possèdent pas de droits citoyenneté car la plupart d’entre eux n’y sont pas éligibles du fait des lois du pays qui s’y rapportent, n’ayant guère à laisser derrière eux dans l’État d’Arakan, allaient fuir en masse le pays vers la sécurité du Bangladesh.

Il est pertinent ici de relever que l’armée birmane, connue sous le nom de Tatmadaw, affirme que ses opérations parmi les Rohingyas sont provoquées par les attaques mortelles que des rebelles rohingya – considérés comme des terroristes par Naypyidaw et accusés de liens avec al-Qaeda et d’autres groupes aussi notoires – ont lancé contre eux et contre des villageois bouddhistes. Le brouillard de guerre est tel que des civils en ont assurément perdu la vie, mais il n’est pas clair si cela constitue réellement un génocide, ou qui en est réellement responsable.

Un Kosovo d’Asie du Sud

À l’heure actuelle, il est impossible de dire exactement ce qui se passe dans l’État d’Arakan et c’est en partie dû à l’intense guerre de l’information menée présentement contre le Myanmar et au refus de Naypyidaw d’autoriser l’entrée de journalistes indépendants sur place pour cause de problèmes de sécurité, mais la dynamique générale actuellement en cours rappelle étrangement les prémices de la guerre de l’Otan contre la Yougoslavie de 1999 et le découpage du protectorat occidental du Kosovo, hors de ce qui est aujourd’hui la Serbie.

À l’époque, le monde avait soudainement appris l’existence d’une nouvelle sous-identité de Musulmans nommés les « Kosovars », tout comme ils font aujourd’hui connaissance avec les « Rohingyas », et ceux-là clamaient eux aussi que leurs droits étaient bafoués et que cela justifiait par conséquence qu’ils commettent des actes de violence contre l’état et parfois même contre des civils.

Un autre élément commun concerne des images et des récits largement diffusés par les médias mainstream, dont beaucoup furent ultérieurement démentis sur preuve ou complètement décontextualisés, qui ont servi à inspirer la communauté musulmane mondiale (Oumma) d’enrager d’indignation et d’envoyer des combattants volontaires secourir leurs coreligionnaires, comme l’exige le devoir traditionnel lorsqu’ils croient que l’un des leurs est persécuté.

Cependant, le problème est que la situation n’est jamais aussi tranchée que la présentation des médias mainstream laisse accroire, comme quiconque suivant la guerre en Syrie au cours des derniers six ans et demi le sait désormais, surtout en considérant des accusations interminables portées contre le Président Assad, comme quoi il se livre lui aussi à un « génocide » contre des Musulmans comme Milošević avant lui, et apparemment maintenant, aussi le Tatmadaw. L’instinct humain naturel faisant que les gens s’insurgent contre ce qu’ils perçoivent être l’extermination insensée et délibérée de tout un groupe identitaire est parfois abusé par des « perception managers » [gestionnaires de la perception populaire, métier de relations publiques aux USA, NdT] pour susciter un soutien en faveur des guerres projetées par leurs commanditaires, et c’est particulièrement vrai quand des Musulmans sont impliqués.

Malheureusement, de telles situations attirent notoirement des terroristes internationaux et mènent à l’émergence de terroristes domestiques, comme pour ce qui se produisit avec « l’Armée de Libération du Kosovo » et ses soutiens d’al-Qaeda en Yougolsavie; les « rebelles modérés », al-Qaeda puis éventuellement Da’esh en Syrie; et maintenant « l’Armée du Salut Rohingya d’Arakan » et ce qui semble de plus en plus être le prochain point chaud de Da’esh au Myanmar.

myanmar-kunmingRespectivement, chaque conflit entendait soit la capture du pays entier soit la partition d’une région stratégique de son territoire, le Kosovo d’après le conflit abritant l’énorme base militaire US de Camp Bondsteel; toute la Syrie devant à une époque devenir le pivot de contrôle US sur tout le Levant; et un futur « Kosovo d’Asie du Sud » au « Rohingyaland », donnant à son mentor une puissante influence sur l’oléoduc et le gazoduc provenant de Kyaukphyu sur la côte [d’Arakan] vers Kunming en Chine et dominant ainsi ce nœud projeté pour la Nouvelle Route de la Soie.

Yougoslavie 2.0

Il ne s’agit pas ici de blanchir ce qui pourraient se révéler être des opérations excessives et disproportionnées de contre-insurrection contre des civils, mais d’attirer l’attention sur la façon dont l’inertie globale du conflit est guidée dans la direction d’une guerre hybride centrée sur l’identité, provoquée depuis l’extérieur à travers une campagne d’information biaisée et coordonnée. Cela vise à diaboliser presque immédiatement l’état birman tout en détournant l’attention des attaques commises par les « rebelles rohingya », qui ont contribué à cette situation militaire et humanitaire en rapide déliquescence.

L’objectif à moyen terme derrière la provocation d’un tel outrage mondial ciblé est d’inspirer d’innombrables « volontaires » musulmans (dont certains deviendront sans aucun doute d’authentiques terroristes) à se répandre dans l’État d’Arakan pour ensuite y mettre en scène une « intervention humanitaire » multilatérale sur le modèle du Kosovo ou une campagne anti-terroriste telle celle expérimentée en Syrie par la coalition emmenée par les USA, afin de prendre à terme le contrôle d’un territoire indispensable à la connectivité de la Nouvelle Route de la Soie dans la vision chinoise globale d’Une Ceinture, Une Route [OBOR, One Belt One Road, NdT].

De plus, considérant que rien de tout ceci ne se déroule dans le vide sidéral et que le pays est toujours aux prises avec une guerre civile avec plusieurs protagonistes le long de toute sa périphérie, il est possible que les discussions actuelles sur la fédéralisation puissent mener à une « balkanisation » totale de l’ancienne Birmanie sur des lignes similaires à celles subies par l’ancienne Yougoslavie. Le résultat final de cette tragédie serait la naissance d’une flopée de nouveaux états à travers leurs propres sanglants baptêmes de feu, qui permettraient à des puissances étrangères hostiles de contrôler plus facilement cet espace stratégique à l’intersection de l’Asie du Sud, du Sud-Est et de l’Est.

En outre, une autre ligne de fracture apparaîtrait dans le soi-disant « Choc des Civilisations » (lui-même rien d’autre qu’un schéma pour diviser et conquérir l’Hémisphère Oriental par la Guerre Hybride centrée sur l’identité) entre non seulement les Musulmans et les Bouddhistes dans l’État d’Arakan, mais peut-être éventuellement les Bouddhistes et les Chrétiens dans la partie centrale du Myanmar et sa périphérie du nord-est. De plus, l’on pourrait s’attendre à ce que des « volontaires » bouddhistes et chrétiens venus de l’étranger inondent aussi le champ de bataille, catalysant potentiellement ce qui pourrait devenir un jour une forme de Da’esh propre à leur religion.

Outre la disparition géopolitique du Myanmar sur la carte du monde et la souffrance indicible de sa population supérieure à 50 millions de personnes, l’autre victime serait indubitablement la Chine, qui aurait à confronter une Guerre Hybride de type syrien le long de sa poreuse frontière du sud-ouest en sus des autres nombreux défis sécuritaires entourant sa périphérie (Corée du Nord, mer de Chine Orientale, Mer de Chine du Sud et Inde). Tout plan pour un Corridor du Myanmar complétant le CPEC vers l’Océan Indien serait également handicapé, et des fauteurs de troubles bouddhistes au Tibet pourraient se radicaliser et décider d’entamer un nouveau cycle de violences.

La probabilité de ces scénarios anticipés pourrait naturellement pousser la Chine à prendre les devants en initiant des mesures d’urgence de résolution de conflit au Myanmar si la situation continue de s’y envenimer, ce qui pourrait aider à établir une fois pour toutes lequel des deux antagonistes a initié tout ce chaos, apporter la justice à tous les coupables sans les conséquences géopolitiques à grande échelle qui menacent autrement de se déchaîner.

Andrew Korybko, réseauinternational.net

Source: https://sputniknews.com/columnists/201709051057114181-myanmar-after-rohingya-violence/

Traduit par Lawrence Desforges

source: https://globalepresse.net/2017/09/06/la-crise-des-rohingyas-realite-rumeurs-et-ramifications/