« La CPI, l’affaire Gbagbo et le rôle de la France »

En hébreu, il y a le mot coeur qui se dit « Lev » mais quand la personne est double, le coeur aussi l’est et cela devient « Levav ». En lisant l’article entier, j’ai l’impression que ce juriste, tout en faisant ressortir les carences de la CPI, imagine que la France pourrait aider à l’améliorer, alors qu’elle même a tout fait pour la corrompre et la détourner de son rôle !
Et cette expression, « contrôle qualité », on a l’impression d’être dans une filière « viande » et non pas dans une organisation qui doit être au delà de tout soupçon de corruption !

Pour le juriste Morten Bergsmo, l’acquittement de l’ancien président ivoirien révèle un problème d’indépendance et de contrôle qualité au sein de la Cour pénale internationale.

Par Morten Bergsmo Publié le 18 janvier 2019

Des partisans de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale, à La Haye (Pays-Bas), le 15 janvier 2019.
Des partisans de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale, à La Haye (Pays-Bas), le 15 janvier 2019. PETER DEJONG / AFP
 

Tribune. Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire, a été acquitté, mardi 15 janvier, par la Cour pénale internationale (CPI) des accusations de crimes contre l’humanité commis dans le contexte des violences post-électorales il y a huit ans. Les défenseurs de la CPI laissent déjà entendre que cette décision prouve son bon fonctionnement, certes, mais qu’elle ne devrait pas juger les dirigeants en premier, plutôt avancer plus doucement, et qu’il est particulièrement difficile de condamner des chefs d’Etat. Ces trois excuses ne suffisent pas.

Le budget de la Cour s’élevait à 147 431 500 euros en 2018. Les enquêtes prennent plusieurs années, les procès aussi parfois. L’affaire Gbagbo a nécessité 231 journées d’audience durant lesquelles 82 témoins sont intervenus, des milliers de documents ont été présentés. Consacrer plus de temps et d’argent ne garantirait pas la bonne marche de cette justice.

Le bilan de la CPI est inédit dans le paysage de la justice internationale : les procédures engagées contre douze personnes ont échoué, alors que seulement trois condamnations pour crimes de droit international ont été prononcées. Quatre accusés ont été acquittés, quatre ordonnances de non-lieu ont été rendues et les poursuites ont été abandonnées dans quatre autres cas. Sur ces douze personnes, quatre étaient des chefs de groupes rebelles, trois étaient des responsables politiques comme Laurent Gbagbo, trois étaient des dirigeants de partis politiques et deux étaient des fonctionnaires. Il est donc faux de dire, comme l’ont affirmé certains observateurs, que les procédures visant des chefs d’Etat échouent davantage que les autres. L’échec ne connaît pas la discrimination.

Défaillance du moteur

L’acquittement de Laurent Gbagbo révèle qu’il existe un problème de contrôle qualité au sein de la Cour. Ce n’est pas nouveau. A vrai dire, sa capacité d’enquête a même été affaiblie dès le début. Le budget d’origine adopté par les Etats membres de la CPI prévoyait que le procureur occuperait des fonctions de direction, tandis que son chef de cabinet officierait à un niveau inférieur, uniquement professionnel. Mais dès mai 2003, le premier procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, a échangé ces attributions devant l’insistance de son premier chef de cabinet. Conduite depuis les plus hauts niveaux, une division imprévue et compliquée consacrée à l’analyse diplomatique et politique a été créée.

C’est cette division qui a collaboré avec le ministère français des affaires étrangères pour que Laurent Gbagbo soit arrêté et détenu, plusieurs mois avant le début de l’enquête de la Cour. Comme l’a expliqué la journaliste d’investigation française Fanny Pigeaud en octobre 2017, le gouvernement Sarkozy soutenait l’adversaire politique de Laurent Gbagbo à l’époque, l’actuel président Alassane Ouattara. Fanny Pigeaud a exposé en détail la façon dont une diplomate française, qui avait dirigé la division diplomatique du procureur Moreno Ocampo entre 2006 et 2010, a coopéré avec le bureau du procureur après être retournée au sein du ministère des affaires étrangères, pour s’assurer que Laurent Gbagbo soit placé en détention quand Alassane Ouattara prendrait ses fonctions, jusqu’à ce que la CPI ait fini de préparer son dossier. Il s’agit de la procédure qui a échoué le 15 janvier 2019.

J’ai partagé l’article de Fanny Pigeaud avec mes étudiants à la faculté de droit de l’Université de Pékin, la plus grande de Chine. Ils étaient ravis : « Vous voyez, professeur, nous vous avions dit que les juridictions internationales ne pouvaient pas être indépendantes face à des gouvernements puissants. Elles sont forcément instrumentalisées. C’est pourquoi la Chine ne doit pas rejoindre la CPI. » C’était le sentiment commun des étudiants, parmi lesquels figurent des aspirants aux fonctions de dirigeants chinois.

La France devra déterminer comment elle en est arrivée à participer à l’échec des poursuites contre Laurent Gbagbo. Que peut-elle faire pour aider la CPI dans sa fâcheuse situation actuelle ? Le bureau du procureur est le moteur de la Cour, et les douze procédures qui n’ont pas abouti sont un symptôme de défaillance du moteur. La France pourrait contribuer à faire en sorte que le processus d’élection du prochain procureur, en décembre 2020, soit traité avec le sérieux requis par les Etats membres. Peut-être devrait-elle nommer un candidat.

Soupçons de collusion

Pour réussir, le nouveau procureur devra avoir une force à toute épreuve, afin que son bureau soit doté d’un personnel de la plus haute qualité dans toutes les fonctions clés. Les Etats membres financent déjà des conditions de travail capables d’attirer les meilleurs représentants de la justice pénale de chaque pays.

Un bon candidat doit posséder la plus grande intégrité, tant dans son comportement personnel qu’à l’égard des ministères des affaires étrangères et des responsables politiques. La révélation d’éléments permettant de soupçonner une collusion dans la sélection des dossiers confirmerait les arguments invoqués pour justifier le rejet de la Cour en Chine, en Inde et en Indonésie. Un procureur doit non seulement comprendre parfaitement l’environnement politique dans lequel évolue la CPI, mais aussi employer exclusivement la langue du droit. Le prochain devra examiner soigneusement la division diplomatique de son bureau.

Il lui faudra en outre exiger la construction d’une véritable culture du contrôle qualité dans les phases d’enquête et de préparation des dossiers. Des experts se réuniront le mois prochain à New Delhi pour discuter des bases du contrôle qualité, en abordant notamment les problèmes de perte de vue d’ensemble des informations dans les dossiers comprenant une multitude d’éléments factuels, l’insuffisance de l’analyse des éléments de preuve, les qualifications juridiques qui fragmentent l’objectif de la procédure et les listes interminables de témoins et de pièces présentées. Etant donné le niveau universitaire de ses juristes dans le domaine pénal, la France pourrait aider à mettre au point des méthodes plus pointues et systématiques pour contrôler la qualité.

Voilà des mesures légères mais très utiles que la France pourrait prendre pour renforcer la CPI, dont la création entre 1998 et 2002 a suscité de grands espoirs à travers le monde, de la même manière que celle de la Société des nations en 1919 et de l’ONU en 1945. Cela serait opportun, au moment où nous célébrons le centenaire de l’ouverture de la Conférence de paix de Paris, le 18 janvier 1919.

Morten Bergsmo est directeur du Centre for International Law Research and Policy (Cilrap).

Cette tribune a été traduite de l’anglais par Virginie Bordeaux.
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