La chronique du juriste Roger Dakouri

 Les dessous de la décision de la Cpi du 9 février : Bensouda vers un K.O debout !

Sur la dernière décision de la Cour Pénale internationale, en date du 9 février dernier, tout a été ou semble avoir été dit.

Il importe toutefois d’indiquer que, toute décision de justice, généralement tissée d’un jargon inhabituel hermétique, qui demeure son matériau principal, et fait d’ailleurs son charme, reste quasi indéchiffrable par le commun des mortels, en tout cas, au travers d’une simple lecture transversale ou via une compréhension exclusivement littéraire.

C’est en cela que la pénétration de toute décision de justice expose à un exercice délicat, surtout, lorsque la décision est émise par une juridiction internationale, au style anglo-saxon, aggravé par des spécificités procédurales. Une telle décision, traduite dans deux langues principales, au moins, exige la comparaison préalable des deux versions pour sûreté.

Au regard de ces réalités, il fallut, pour en cerner les tenants et aboutissants, lire, avec une attention soutenue, cette dernière décision de la Cpi qui, confessons-le, nous est tombée dessus, alors que nous attendions, tous, de nous régaler de la phase des preuves et de l’audition des témoins de la défense.

Aussi aux fins d’une intelligence aisée de cette importante décision, sans précédent, et cachant forcément de réels mystères, nous exercerons-nous à recourir à des formules explicatives simplifiées, en commençant par rappeler les faits et la procédure qui ont tout déclenché ((I), avant d’exposer les motivations inavouées de celui qui a occasionné cette décision de la CPI (II), l’économie de la décision en question (III), et enfin, nous interroger sur ses réelles implications quant à la suite du procès (IV).

Avant d’aller plus loin, il nous importe d’exhorter les uns et les autres à lire les développements ci-dessous avec une grande concentration, quoique le langage usité a vocation à en faciliter la compréhension. L’exposé étant détaillé, il est naturellement assez long, mais se digère avec un minimum de concentration soutenue.

RAPPEL DES FAITS ET PROCÉDURES :

Il est connu qu’après la fin de l’audition, le 19 janvier 2018, du dernier témoin de l’Accusation, le Professeur Hélène YAPO-ETTE, annoncée depuis le mois de décembre 2017, le procès, contre toute attente, fut suspendu, sine die.

Il en allait dès lors que la date de reprise du procès, reprise devant être consacrée à la phase de production des preuves et de l’audition des témoins de la défense, devrait faire l’objet d’une décision de la Chambre (des juges).

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Il faut relever, en passant, qu’une telle pratique caractérise la spécificité de cette juridiction internationale, d’autant que, comme nous l’avons stigmatisé dans notre précédente publication, en matière de judicature, un renvoi d’une affaire, d’une date à une autre date, s’analysant en une véritable décision de justice, lorsqu’un procès est ouvert, toute rupture, sans justes motifs publiquement énoncés à l’audience, est de nature à porter atteinte à une bonne administration de la justice.

Mais, nous verrons plus tard les motivations de ce break qui, en tout état de cause, n’affranchissaient nullement les juges de la nécessité de fixer la date des preuves et de l’audition des témoins de la défense, à charge pour eux de la proroger au cas où les diligences intermédiaires n’avaient pas été totalement satisfaites. Bref, prenons acte de ce que le procès a été suspendu depuis le 19 janvier 2018.

En l’état actuel des choses, nous exposerons l’origine et l’auteur de ce bouleversement «mortel», et l’objectif par lui visé.

UNE PALABRE MORTELLE AUTOUR DE LA LISTE DES TÉMOINS DE LA DÉFENSE

Après l’audition du dernier témoin à charge, le 19 janvier 2018, Fatou BENSOUDA s’empressa d’introduire une requête auprès des juges (la Chambre), le 26 janvier 2018, aux fins «d’instructions préliminaires concernant les préparatifs de la présentation des moyens de preuves par la défense».

Qu’est-ce à dire ?

Fatou BENSOUDA demandait ainsi aux juges d’organiser une séance de travail préparatoire en vue de l’audition des témoins de la défense. Au cours de cette conférence, il devrait lui être communiquées, et les preuves documentaires, et la liste des témoins de la défense .

Interrogée séparément sur leurs avis, la défense du Président Laurent GBAGBO et celle du ministre Charles BLÉ Goudé ont cru devoir répondre, au contraire de La Représentante des Victimes (LRV).

1- La réponse de la défense du ministre Charles BLÉ Goudé est intervenue le 30 janvier 2018. Dans celle-ci, la défense du ministre Charles BLÉ Goudé a tout simplement demandé aux juges de rejeter cette demande de Bensouda, pour 3 motifs suivants :

a) Cette défense a estimé, qu’en se pressant de la sorte, Fatou BENSOUDA était en train d’ignorer la décision des juges par laquelle ceux-ci se proposaient de publier, plus tard, une autre décision sur la présentation de la liste des témoins de la défense.

b) – Sur cette question, Fatou avait précédemment notifié qu’elle n’avait rien à dire.

c) – Pour La défense du ministre Blé, la démarche de l’Accusation était de nature à glisser sur le champ de compétence discrétionnaire des juges, s’agissant d’une question liée au déroulement de la procédure.

Répétons donc que c’est au regard de toutes ces raisons que la défense du ministre Charles BLÉ Goudé a demandé aux juges de rejeter la demande de Fatou BENSOUDA, purement et simplement.

Qu’en a-t-il été de la défense du Président Laurent GBAGBO ?

2- La réponse de la défense du Président Laurent GBAGBO est intervenue le 2 février 2018. Dans celle-ci, la défense du Président Laurent GBAGBO, a opposé au procureur de cruels préalables :

Premièrement, après l’audition des 82 témoins du Procureur, soulève la défense du Président Laurent GBAGBO, elle n’est pas encore en mesure d’évaluer correctement les éléments de preuves dudit Procureur. La défense du Président Laurent GBAGBO fait surtout valoir que les deux versions (anglaise et française) ne sont pas encore disponibles à son niveau.

Deuxièmement, la défense du Président Laurent GBAGBO pose que, c’est lorsqu’elle sera en possession de toutes les transcriptions faites par le greffier, dans leur forme corrigée, qu’elle analysera, «EN PROFONDEUR», les témoignages de l’Accusation, et après cette analyse, elle verra si elle doit décider ou non d’une requête demandant d’exclure une ou plusieurs accusations.

Troisièmement, la défense du Président Laurent GBAGBO conclut que c’est après la décision que pourraient rendre les juges, sur ses éventuelles requêtes aux fins d’exclusion ou annulation d’une ou plusieurs accusations, qu’elle fournira sa liste de témoins.

II- Me ALTIT OUVRE LE PROCÈS AVANT LE PROCÈS POUR DÉTRUIRE FATOU

ANALYSE AVANT DÉCISION DES JUGES :

Que recherche, dans le fond, Me Altit, en soulevant les préalables ci-dessus ? Tout simplement, à mettre fin au procès avant le procès.

Comment ?

En estimant, à juste titre, que Fatou BENSOUDA doit d’abord faire le point de ses preuves documentaires et des dépositions de ses 82 témoins, Me Altit jette d’abord à la poubelle, la demande de cette même Fatou relative à la liste des témoins, avant de l’assommer au moyen de trois autres exigences suivantes :

– Est-elle d’accord avec toutes les transcriptions du greffier relatives à ses preuves et aux dépositions de ses témoins ? N’y conteste-t-elle rien ?

– Si oui, croit-elle que ces 82 témoins et les preuves produites, appuient vraiment chacun des éléments des différents crimes et forme de responsabilité ?

– Peut-elle relier ces témoignages de ses 82 témoins à chacun des crimes qu’elle a imputés au Président Laurent GBAGBO sous le rapport de son Document de Notification des Charges ?

Quels étaient donc ces crimes auxquels devrait être rattachée la forme de responsabilité contre le Président Laurent GBAGBO et le ministre Charles BLÉ Goudé ?

1- Les crimes rattachés à la marche sur la Rti, du 16 décembre 2010.
Sur l’occurrence, toutes les preuves et témoignages n’ont-ils pas attesté du caractère manifestement insurrectionnel de cette marche ?

2- L’assassinat des 7 femmes d’Abobo
Les expertises, preuves et témoignages n’ont-ils pas établi que le sang de certaines victimes supposées, n’était pas du sang humain, couvrant d’un doute raisonnable la réalité même de ce crime supposé ? Des hommes expertisés, à la place des femmes ?

3- Sur le cas des obus prétendument lancés sur le marché Siaka KONE, en plein jour, à Abobo, parce que, exclusivement fréquenté par les partisans de Dramane OUATTARA : les impacts d’obus y ont-ils été formellement relevés à dire d’expert ? Leurs auteurs, surtout, ont-ils été formellement identifiés ? Les sachants militaires, à savoir les chefs des grands Commandements de l’époque, ayant témoigné en leur faveur (Mangou, KASSARATE,GUIAI Bi Poin, DETHO Letoh…etc) n’ont-ils pas, unanimement, attesté de l’impossibilité technique à atteindre la cible, à partir de la base de leurs éléments, reclus au Camp Commando d’Abobo ?

4- Les crimes prétendument commis le 12 avril 2011 à Yopougon, après l’arrestation du Président Laurent GBAGBO : n’a-t-il pas été rapportée la preuve que les FRCI ayant pris le contrôle de tout Abidjan dès le 11 avril 2011, c’étaient plutôt les groupes sociologique Wê, Bhété-Dida, Akye-Abbey…etc, qui y étaient massacrés ?

En tout état de cause, quelle est la forme de responsabilité contre le Président Laurent GBAGBO, arrêté il y a un jour ? Co-auteur direct ? Indirect ? Comment ?

Pourquoi Me Altit exploite-t-il un tel filon ?

On répondra tout simplement : POUR GAGNER DU TEMPS.
Comment ?

Comme, on le voit, au lieu de s’empresser à faire connaître sa liste de témoins, Me Altit pousse dame Fatou à «juger» ses propres témoins et preuves documentaires, sur la base de ce qu’elle avait allégué au départ. Par une telle technique sérieuse, Me Altit est en train de forcer, surtout dame Fatou, à annuler, elle-même, les charges, à la lumière même de l’économie des témoignages de ses propres témoins.

Car, le travail colossal que Me Altit exigera, dans un laps de temps, à dame Fatou pour des auditions réalisées sur 2 ans, consistera à classifier, comme nous venons de le rappeler, les différents crimes, à les rattacher clairement aux preuves et témoignages issus de l’audition des 82 témoins. Comme vous le voyez, l’heure du cafouillage, où on agite, à l’emporte-pièce, des crimes sur la tête du Président Laurent GBAGBO et du ministre Charles BLÉ Goudé, est totalement révolue

Le dernier crochet que réserve Me Altit à Fatou, consiste, après avoir vu le point qu’elle aura fait de ses propres 82 témoins et de ses preuves documentaires, à contester, devant le juge, les faits qui le mériteront, en vue de l’annulation ou de l’exclusion de ces charges.

C’est après cela seulement que la défense de «Opah la nation», produira sa liste de témoins.

Une telle technique ne consiste-t-elle pas à ouvrir déjà le procès avant le procès qui ne devrait s’ouvrir, normalement, qu’après l’audition des témoins de la défense ? Car, la phase actuelle n’est qu’une simple phase d’instruction du dossier.

Techniquement, Fatou pourra-t-elle se dégager d’un tel traquenard de Me Altit ?

La décision des juge nous situera là-dessus.

III- LES JUGES ONT-ILS SUIVI Me ALTIT  DANS SON «ANAGO» PLAN ?

Répondant à la défense du Président Laurent GBAGBO, les juges ont décidé :

Premièrement, que la demande de Fatou, quant à la production de la liste des témoins de la défense, est sans objet en l’état, c’est-à-dire, on ne parlera plus de cela.

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Ensuite, ces juges, comme l’a soulevé Me Altit, ont dit que : «pour que les juges et la défense puissent apprécier la thèse du Procureur, ce dernier doit fournir un mémoire d’avant-propos contenant un exposé détaillé de son affaire, ce, à la lumière des témoignages entendus et des preuves documentaires présentés au procès. Les juges estiment que cela s’impose au regard du nombre impressionnant de témoins retirés par le procureur» en cours de procès.

Poursuivant, les juges exigent de Fatou BENSOUDA qu’elle leur indique comment les éléments de preuves confirment, chacun les 04 crimes que nous avons rappelés plus haut et, comment la responsabilité pénale du Président Laurent GBAGBO et du ministre Charles BLÉ Goudé peut en être clairement déclinée ?

Mieux, à ce stade du débat, les juges ont imposé une méthodologie quant à la manière dont Fatou devra rédiger son mémoire. Et cela n’est pas fortuit. En effet, décidés à voir plus clair dans les choses, les juges ont exigé de Fatou de rédiger son mémoire dans un style simplifié afin qu’il n’y ait pas de quiproquo entre les différentes parties.

Pourquoi un tel avertissement ?

Tout simplement, parce que les juristes, lorsqu’ils sont coincés, aiment à recourir, par exemple, à des formules vaseuses, à des références des textes de l’époque de la préhistoire…etc, pour se sortir d’affaire.

Enfin, les juges ont décidé que ce n’est que lorsque les équipes de la défense auront reçu le mémoire d’essai imposé à Fatou, qu’elles pourront formuler leurs observations sur la poursuite du procès.

Comme on le voit, les juges ont entièrement fait droit à la requête de l’équipe du Président Laurent GBAGBO.

IV- CETTE DÉCISION A-T-ELLE DES IMPLICATIONS JURIDIQUES SUR L’ISSUE DE CE PROCÈS ?

Nous avons tous suivi ce procès, depuis le 28 janvier 2016. Nous sommes témoins de la vacuité des témoignages et autres preuves documentaires dont certains ne concernaient pas même le théâtre du conflit ivoirien .

Il est aussi important de relever qu’il était loisible aux juges de prétexter d’une certaine célérité qu’ils entendraient dorénavant imprimer au rythme du procès, pour rejeter la demande de l’équipe de défense du Président Laurent GBAGBO, en enjoignant aux équipes de défense de produire la liste de leurs témoins, afin que les choses aillent vite. Ils ne l’ont pas fait. En l’espèce, ces juges ont cru devoir s’en tenir aux mécanismes de la bonne administration de la justice.

Mieux, dans cette vision d’une bonne justice, ces juges ont, sans ambages, appuyé la demande de Me Altit, en imposant une méthodologie contraignante, qui ne permette plus à Fatou de ruser avec la clarté du débat, en tout cas la vérité factuelle et juridique.

            En conclusion, la seule question qui vaille :
Fatou peut-elle s’en sortir ?

Avouons du point de vue purement juridique que l’angle dans lequel l’a poussée Me Altit ne lui concède qu’une très maigre marge de manœuvre.

Me Altit a utilisé d’un style très raffiné, «malicieux», pour purger tout le dossier de Fatou de son contenu. À Treichville, on dirait : «il a tué le match».

Il apparaît dès lors improbable que le procès aille à son terme, parce que «ce procès avant le procès», qu’a techniquement imposé Me Altit à Bensouda, portera sur le contenu des témoignages de l’Accusation, et en quoi ces témoignages corroborent les différents crimes ?

Sous cet angle-là, ne sommes-nous pas déjà en pleine plaidoirie, alors que cette plaidoirie devrait se faire plus tard, après l’audition des témoins de la défense ?

Voilà un vrai penalty, à la 90ème minute, que se sont offerts Me Altit et ses collègues, après 6 ans de jeu de cache-cache.

30 petits jours ont été impartis à dame Fatou, à compter, vraisemblablement, du lundi 12 février dernier, pour tenter de démêler ce mortel écheveau.

Me Altit, un véritable Garrincha ! Bravoooo homme de l’art !

L’Activateur Tchedjougou OUATTARA
Roger Dakouri Diaz