Haïti : L’histoire du (médecin) juif errant

L’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert mêle la folie nazie et le destin de son pays à travers le parcours épique de Ruben Schwarzberg. C’est une fiction où tout est vrai, où l’émotion le dispute à l’érudition. Le romancier est l’invité, jeudi, du Café littéraire de Mulhouse.

par Jacques Lindecker
Louis-Philippe Dalembert.Photo  © Laurence Lamoulie
Louis-Philippe Dalembert.Photo © Laurence Lamoulie

C’est un écrivain haïtien errant à travers le monde (Louis-Philippe Dalembert a vagabondé à Paris, à Rome, à Jérusalem, à Berlin, en Amérique du Sud, aux États-Unis ou en Afrique noire) qui se saisit d’une figure, celle d’un médecin juif né en Pologne en 1913, dont l’errance aura été le calvaire et, peut-être, la chance. C’est ce même auteur, issu du pays du chaos, politique, social, climatique, qui brandit le chaos (celui qui enflamma la planète du fait de la démence nazie) comme étendard littéraire. Car la tempête autorise la poésie, l’humour, la colère, l’appel au vaudou, et c’est tout cela que l’on retrouve dans Avant que les ombres s’effacent.

Tout part donc de Ruben Schwarzberg, un enfant juif qui grandit à Lodz, en Pologne. Enfin… pas longtemps. « Les cendres de la Grande Guerre fumaient encore ; dans la foulée, un nouveau brasier s’était rallumé entre le tout jeune État polonais et l’ogre soviétique naissant. » Premier exode. On passe la frontière, installation à Berlin de l’atelier de fourrure familial. On se fait des copains, on étudie, on se fait traiter une fois de youpin, et puis l’atmosphère s’obscurcit, viennent les lois raciales de Nuremberg, les persécutions, la Nuit de cristal du 9 novembre 1938. Il faut fuir. Mais où ? Certains optent pour le jeune État d’Israël, d’autres pour les États-Unis. Ruben y demande l’asile, sans succès. Il se fait rafler par des miliciens, se fait jeter dans un train direction Buchenwald… d’où il va miraculeusement réchapper.

Il parvient alors à embarquer sur un bateau affrété pour Cuba, qui n’y accostera pas, retour vers l’Europe, à Paris pour des mois enchanteurs en compagnie d’Ida Faubert, une poétesse haïtienne et féministe (qui a réellement existé), comme une parenthèse inouïe. Avant, toujours en 1939 (quelle année !), d’arriver à Port-au-Prince, pas vraiment la destination rêvée, mais on parlait alors de survie, hein ? Haïti, « quelque chose à mi-chemin entre l’espoir qui lui tendait les bras et le remords d’avoir laissé tant d’autres derrière, là-bas dans les ténèbres. » Et c’est là que le Dr Schwarzberg va faire sa vie. « Le passé d’un individu, c’est comme son ombre, on le porte toujours avec soi. Il faut apprendre à vivre avec, à s’en servir au mieux pour avancer. » Il va donc avancer, devenir un praticien réputé entouré d’une nombreuse famille quand, en janvier 2010, l’île est frappée par un effroyable séisme. Deborah, sa petite-cousine installée en Israël, fait partie des médecins venus du monde entier apporter leur aide. Ils se rencontrent, et ce qui ne s’est jamais soulagé prend alors le dessus : Ruben raconte, l’émotion et la pudeur se donnent la main.

Évidemment, à travers ce récit, Louis-Philippe Dalembert rend hommage à son pays, « ce bout d’île écrasé de soleil, de misère et de générosité », cette île que l’on croit, vu d’ici, comme oubliée des dieux, ou punie (mais de quoi ?), et souligne la fierté qu’il a d’appartenir à ce peuple. Après tout, rappelle-t-il, l’État haïtien, qui n’aimait pas « la politique de ce monsieur Hitler » a eu le cran en 1939 de promulguer un décret-loi permettant à tout Juif d’obtenir illico presto la nationalité haïtienne ! Le 12 décembre 1941, le président frais élu décida carrément de déclarer la guerre à l’Allemagne et à l’Italie. Bon, là, le « peuple ingrat » trouva qu’il en faisait un peu trop. N’empêche. C’est ce genre de folie qui fait le charme et l’inattendu de ce « tout petit pays/qui a planté sa gueule géante de/caïman/dans la chair de la mer caraïbe/du plus loin que je me souvienne/c’était l’univers entier ». Car, oui, Louis-Philippe Dalembert est aussi poète.


LIRE
« Avant que les ombres s’effacent », Louis-Philippe Dalembert, éditions Sabine Wespieser, 296 p., 21 €. Du même auteur paraît le 6 avril un recueil de poèmes, « En marche sur la terre » (éditions Bruno Doucey, 136 p., 15 €).

RENCONTRER
Louis-Philippe Dalembert est l’invité du Café littéraire de la Ville de Mulhouse à la Bibliothèque Grand’rue le jeudi 6 avril à 18 h 30.

L’Alsace.fr