Gbagbo, la France et le divorce

C’EST DANS LE Quotidien Aujourd’hui
« GBAGBO, LA FRANCE, ET LE DIVORCE »
L’ancien président n’a jamais aussi mal mérité d’être accusé d’anti-français. C’est même une hérésie pour ceux qui savent que Laurent Gbagbo connaît la vie et le personnel politiques français dans le moindre détail. Ses proches peuvent aussi témoigner que tous ses discours ou déclarations publiques de l’ex-président sont toujours ponctués d’exemples historiques français.

D’ailleurs ses premières sorties médiatiques, l’ancien président ivoirien les a réservées aux médias français. D’abord à Médiapart qui prit, il est vrai, fait et cause pour lui durant son procès à la Cour pénale internationale, ensuite plus récemment pour prendre position dans le débat sur la présidentielle de 2020. Laurent Gbagbo a en effet fait appeler Denise Epoté Durant, l’animatrice de l’émission « Et si vous me disiez la vérité… » produite par TV5 pour lui accorder sa première interview télévisée. Enfin, Laurent Gbagbo a édité deux livres co-écrits avec le journaliste français François Mattéi, ancien rédacteur en chef de France Soir et son ami personnel d’une dizaine d’années.

Avec un journaliste d’Arte
Cette pulsion naturelle qui pousse l’ancien président vers la France renvoie probablement à son exil ainsi que son premier mariage avec une française de Lyon, Jacqueline Chamois et montre qu’il est un francophile assumé. D’ailleurs, pour son retour à Abidjan, Laurent Gbagbo a accepté de faire le voyage avec Charles Emptaz, grand reporter-télé, photographe et réalisateur. Ce dernier a déjà réalisé des reportages de 13 à 52 minutes pour des chaînes publiques et privées françaises et notamment des reportages d’investigation sur la Libye, diffusés sur France 4 et Arte. Il prépare d’ailleurs un documentaire pour le compte de la télévision française Arte.
Charles Emptaz était dans le même avion que Laurent Gbagbo et sa compagne Nady Bamba et a ainsi filmé chaque minute de ce retour. C’est d’ailleurs une partie de ce film qui a fait l’objet d’un article dans le magazine français Paris Match. Ce dernier a pourtant pris soin de ne pas publier ce reportage à la une de sa dernière publication alors qu’il se négocie entre 10.000 et 20.000 euros. La patronne du magazine étant très liée à la famille Ouattara et particulièrement à Dominique Ouattara, la première dame ivoirienne, on peut comprendre pourquoi ledit reportage n’est placé qu’en pages intérieures.

Et Paris ?
Quoiqu’il en soit, Paris suit avec grand intérêt ce retour. Le 18 juin par exemple, TF1 a commenté en trente secondes les images du retour filmées la veille à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny en se montrant pessimiste sur l’avenir de la Côte d’Ivoire. Le fait que la première télévision privée française « inflige » ces trente secondes d’une actualité internationale à ses abonnés un week-end montre l’intérêt qu’on porte au retour de Laurent Gbagbo, un intérêt marqué dans les allées du pouvoir français dont Bouygues, le propriétaire de TF1, constitue l’une des portes.Alors, le sachant, l’ex-président a-t-il voulu donner des gages en se séparant avec précipitation de celle qui est son épouse depuis les années 80, créant ainsi une polémique qui risque d’avoir des conséquences néfastes sur l’unité de la tendance du parti qui lui est restée fidèle ? En tout cas selon Charles Emptaz, « en trois jours, le revenant (Laurent Gbagbo, ndlr) a tiré un trait sur ce passé qui obstruait son avenir. Preuve qu’il n’a rien perdu de son adresse. »

Le divorce qui ne passe pas
Alors que de vives polémiques continuent de secouer le parti et qu’elles menacent l’unité de celui-ci à cause de la façon dont l’ancien président a congédié celle qui était encore son épouse légitime, le journaliste raconte avec un ton particulièrement aseptisé le voyage aux côtés des Gbagbo dans le vol de Brussels Airlines de ce jeudi. Même en évoquant la cohue qui s’est emparée de tout l’aéroport lors de la sortie du tunnel, Charles Emptaz évoque de manière sibylline la colère de Nadiana Bamba. Pour lui, cet épisode ainsi que le retour de Gbagbo à l’église catholique, qui symbolise sa rupture d’avec les cercles évangéliques dont Simone est l’une des adeptes, est la preuve que Gbagbo « a tiré un trait sur ce passé qui obstruait son avenir ».

En conséquence, cet empressement à régler ces questions constitue-t-il un clin d’œil au pouvoir français ? En tout cas à Paris, on pense qu’un retour de Gbagbo dans le giron français n’est pas tactiquement à l’étude. A tout le moins, croit-on, cela enlèverait à Alassane Ouattara toute possibilité de diviser le parti en usant de chantage sur la question du transfèrement éventuel de l’ex-première dame vers la Cour pénale internationale.Le nouveau procureur se montre en effet déterminé à instruire un dossier à charge contre les autres protagonistes de cette crise post-électorale et, dans ce cas, il ne serait pas contre toute volonté de Ouattara de traduire Simone Gbagbo devant la CPI si ce dernier n’obtenait pas de sa part ce qu’il souhaite. Mais il est difficile de donner du poids à une telle hypothèse au vu du contexte national et des crispations que cela pourrait engendrer. Alassane Ouattara pourrait ainsi être accusé de continuer à saborder le timide processus de réconciliation nationale ouvert par le retour de l’ancien président en Côte d’Ivoire après dix années d’absence.Ce dernier se prépare d’ailleurs activement à se rendre dans son village pour s’incliner sur la tombe de sa mère décédée au moment où il était encore emprisonné par la Cour pénale internationale. Après, Laurent Gbagbo doit se rendre à Daoukro pour renvoyer l’ascenseur à Henri Konan Bédié qui lui avait rendu une visite de compassion et de nouvel allié à Bruxelles. Objectif, donner un second souffle à l’alliance PDCI-FPI.L’ex-président est en effet revenu pour faire la politique et n’en perd pas son punch d’animal politique. Dans une interview à venir sur Arte, il répond en effet à ses accusateurs opposés à son retour dans son pays. « Si moi on m’arrête et qu’au bout de quelques années, on me libère en disant que je suis innocent, il faut rechercher avec les autres groupes ! Il faut chercher à savoir qui a tué ».
Séverine BLE, journal Aujourd’hui