Flatter les Dictateurs, attirer leur argent en France, les lâcher et récupérer la mise

La France et ses amis africains. une réflexion pour comprendre un autre enjeu du 11 avril 2011
par le ministre Justin Koné Katinan

LA CONFISCATION DES PRODUITS ET DES BIENS DE LA CORRUPTION EN FRANCE

L’Etat Français pris en flagrante infraction de recel et de blanchiment d’argent

Le 27 Mars dernier, un débat parlementaire au niveau du Sénat français, portant sur un sujet très intéressant, a tourné malheureusement court. En effet, la chambre haute du parlement français a introduit une proposition de loi prévoyant une restitution automatique des confiscations des biens détenus par des personnes politiques exposées reconnues coupables en France d’infractions en matière de probité. Malheureusement, cette proposition de loi n’a pas prospéré. Même inachevé, le rapport de présentation de la proposition de loi a eu l’avantage de soulever des questions de fond sur l’affectation actuelle, en France, des produits et les biens saisis suite à une confiscation prononcée contre les coupables de la corruption transnationale.

Il convient de rappeler que, pour endiguer ou du moins réduire l’ampleur de la corruption transnationale dont sont victimes les pays faibles, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, en 2003, une convention connue sous l’appellation de « convention Mériba ». Cette convention trace le cadre d’une coopération internationale entre les Etats parties pour la lutte contre la corruption et le blanchissement d’argent de la criminalité. L’article 57 de ladite convention détermine les conditions de restitution, au pays d’origine, des sommes d’argent qui leur ont été volées suite à la corruption. Cet article pose comme principe la restitution intégrale des confiscations au pays d’origine. L’Etat français a ratifié cette convention en 2005. Toutefois, le code de procédure pénal français, aménagé à cet effet, reste tout de même curieux. En effet, l’article 713-40 dudit code précise que l’exécution d’une décision de confiscation « entraine transfert à l’Etat français de la propriété des biens confisqués sauf s’il est convenant autrement avec l’Etat requérant ». Le principe est donc la conservation, par l’Etat Français, des biens de la confiscation ; le partage entre avec l’Etat requérant en constituant l’exception.

Le gouvernement français a pris une loi en 2010 pour faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Cette loi élargit le champ d’application des biens pouvant être saisis et confisqués. Elle crée, en outre, un organisme pour recouvrer les produits des biens de la confiscation. Il s’agit de l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC). Les sommes recouvrées par cette agence à la suite d’une décision de confiscations sont versées, aux termes de l’article 706-183 du code de procédure pénale, au budget de l’Etat. On le voit bien, l’argent sale de la corruption internationale est bien accueilli par le Trésor de l’Etat français. Une telle finalité est incompatible à la fois avec le droit interne français et toute les formes de morale. En effet, selon l’article 321-1 du code pénal français, « …… Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier par tout moyen du produit d’un crime ou d’un délit ».

Moralement, est-il admissible qu’un Etat vertueux puisse s’accommoder de l’argent de la corruption internationale quand, surtout, cette corruption se fait au détriment de pays pauvres? C’est à ce niveau que le débat nous intéresse, nous Africains. Les dirigeants africains aiment tellement leurs peuples et leurs pays qu’ils cachent leurs fortunes très loin d’eux. Celles-ci sont logées en Europe, généralement dans l’immobilier ou les objets mobiliers de grande valeur quand elles ne dorment pas dans les coffres forts des banques.

Pendant que ces personnes politiques potentiellement exposées, comme les désigne l’article R. 561-18 du code monétaire et financier français, accumulent leur fortune mal acquise sur le territoire français, l’Etat français ferme les yeux. Il les ouvre subitement quand cette fortune atteint un niveau qui peut intéresser le Trésor français et/ou que le pouvoir africain en question ne sert plus ou pas suffisamment les intérêts du pouvoir français. Une ONG active alors la justice. Lorsque la justice rend une décision de confiscation, l’article 706-183 autorise l’Etat Français à en incorporer le produit au budget national. L’on est tenté de dire que, moins qu’une opération de lutte contre la corruption, la loi du 9 juillet 2010 précitée constitue plutôt une opération d’élargissement de l’assiette d’un impôt français qu’on pourrait appeler « l’argent sale recyclé (ASR).

Prenons le cas de monsieur Teodoro Nguema, Vice-Président de la Guinée équatoriale dont le cas a d’ailleurs servi à illustrer la proposition de loi ci-dessus rappelée. Selon l’AGRASC, 16 dossiers, d’un montant avoisinant 150 millions d’Euros (environ 100 milliards de FCFA), seraient ouverts par la justice contre lui dans l’opération dite de biens mal acquis. Les avoirs saisis et confisqués par le jugement rendu en première instance concerneraient des biens immobiliers dont un hôtel particulier, des polices d’assurance-vie, de divers biens meubles de grande valeur et de comptes bancaires. A supposer que les faits soient établis, il est évident qu’une telle fortune ne s’est pas constituée en un seul jour. L’achat d’un immeuble en France fait l’objet d’une publicité foncière. C’est également une opération qui emporte une obligation fiscale qui consiste au paiement des droits d’Enregistrement au Trésor Français. Elle ne peut donc, en aucun cas, se dérouler dans la clandestinité. Comment le gouvernement Français pourrait-il soutenir qu’une telle opération de vente se fût déroulée à son insu? Tous les véhicules de luxe présentés comme appartenant à monsieur Obiang ont été enregistrés en son nom à l’achat. Il apparaît clairement que le gouvernement français a laissé faire afin que le fruit de cette corruption présumée atteignît un niveau bien intéressant pour son budget national avant d’actionner tous les mécanismes de répression à sa disposition. Il y a là au moins une opération de blanchiment d’argent de la part de l’Etat français au sens de l’article 324-1 du code pénal. En effet, selon cet article, « constitue un blanchiment d’argent, le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».

Le scénario est le même avec les dirigeants africains. A chaque déplacement de Feu Omar Bongo en France, beaucoup d’hommes politiques français de tous les bords se battaient pour avoir accès à lui, soit dans son hôtel particulier, soit dans l’un des hôtels de luxe de Paris. Ils venaient recevoir leur part de conseils bien cachés dans de grosses enveloppes ou, pour les plus chanceux, dans des mallettes. Nul n’ignorait que ces conseils très précieux coûtaient très cher aux citoyens gabonais jusqu’à ce qu’un jour, comme par enchantement, le miracle se produisît. La bonne conscience habita de nouveau ces hommes politiques. Alors, vers la fin de sa vie, quand il ne servait plus leur bonne cause, il apparut comme un vil dictateur, voleur de son peuple dont les biens en France seraient mal acquis.

La pratique continue encore et encore. Aujourd’hui, Il y a des Chefs d’Etat africains qui ne peuvent faire deux semaines sans séjourner en France. Ils y débarquent à bord d’avions de leur Etat pour séjourner dans leurs résidences privées éparpillées sur tout le territoire français. Personne ne s’interroge comment ces derniers font la part des choses, dans les finances de leur Etats respectifs, entre les dépenses privées et les dépenses publiques liées à leurs fonctions. Quel Français accepterait, par exemple, qu’Emmanuel Macron se rende une fois la quinzaine à bord de l’avion présidentiel à Marrakech dans une villa privée pour des séjours privés. Pourtant ces Chefs d’Etat africains sont reçus en France avec soins, par les hautes autorités qui n’hésitent pas à partager, à l’occasion, leurs tables. Il en sera ainsi jusqu’à ce que le montant de leurs investissements atteigne le volume intéressant pour le Trésor français ou que, pour une raison ou une autre, ils ne soient plus dans les petits papiers des cercles de pouvoirs français et ils seront, à leur tour, déclarés dictateurs voleurs.

Les procédures des biens mal acquis ont une portée hautement budgétaire pour le gouvernement français. Dans ces conditions, toute proposition de loi portant sur la correction de cette énorme immoralité risque de buter sur l’exception d’irrecevabilité prévue par l’article 40 de la Constitution française. Celle-ci rend inopérante toute disposition législative qui aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.

Pourtant la proposition de loi introduite par un sénateur socialiste et les amendements présentés par les sénateurs communistes et écologistes sauve doublement l’honneur de la France. En effet, non seulement le reversement dans les caisses de l’Etat français de l’argent de la corruption choque la décence, mais, en plus, la France présidera le sommet du G7 qui se tiendra en Aout prochain à Biarritz. Cette réunion aura pour ordre du jour, justement, l’intensification de la lutte contre la corruption. La France ne peut se permettre d’aller à ce sommet avec le statut peu honorable de receleur ou de blanchisseur d’argent de la corruption. Des solutions existent. La proposition des sénateurs communistes de créer un fonds d’appui aux renforcement des capacités des administrations fiscales des pays d’origine de l’argent de la corruption est très pertinente. La mobilisation efficiente des ressources budgétaires internes est un défi majeur pour les pays en développement qui doivent impérativement quitter le cycle vicieux de l’endettement.

D’autres pistes peuvent être explorées. Par exemple, en 2007, la Suisse a créé une fondation, avec la collaboration des Etats-Unis d’Amérique et sous l’égide de la Banque Mondiale, pour encadrer le processus de restitution de 115 millions d’Euros aux Kazakhstan. Ce processus se déroule indépendamment des autorités Kazakhs. Cette fondation finance des projets en faveur des jeunes.

Il est aussi loisible de créer un compte bloqué avec l’argent de la corruption au nom de l’Etat d’origine et rendre ces fonds disponibles pour ledit Etat une fois que les autorités gouvernantes, auteurs de cette corruption, auront quitté le pouvoir. Les fonds ainsi bloqués, capital et intérêts échus compris, seront affectés à des programmes sociaux tels la construction d’universités, d’hôpitaux etc.

Par-dessus tout, la mesure la plus efficace reste la proactivité qui anticiperait l’accumulation, dans les pays d’accueil, des biens et autres valeurs de la corruption. Dans l’état actuel de l’évolution technologique, laisser accumuler plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de millions d’euros en invoquant l’excuse de l’ignorance est une marque de démagogie renforcée de la part des autorités du pays d’accueil de l’argent de la corruption. Quand, au bout du compte, cet argent est accueilli avec bienveillance dans le Trésor public du pays d’accueil, alors on tombe dans l’immoralité abjecte.

Il semble que les relations internationales, version capitaliste, ne se portent mieux que dans l’hypocrisie. Il faudra y ajouter aussi, dans l’immoralité.
Justin Katinan KONE
Ancien ministre
Vice-Président du FPI chargé de l’économie et de la finance internationale
Premier Vice-Président d’EDS chargé de la politique générale.