Démocratie parlementaire : Macron, la poule qui a trouvé un couteau

Régis de Castelnau

L’apparition d’Emmanuel Macron sur les écrans le 22 juin au soir avait quelque chose d’un peu lunaire. Même s’il n’y a pas d’illusion à se faire sur le personnage, on aurait pu espérer un minimum de hauteur, et pourquoi pas soyons fous, l’expression d’une vision. Rien de tout cela, juste quelques banalités et vœux pieux sans intérêt.

Depuis, il nous a asséné à propos du premier ministre qu’il avait nommé au lendemain de la présidentielle « Borne a ma confiance dans la durée ». Preuve qu’il ne comprend rien. Après les législatives c’est la confiance du parlement dont doit bénéficier Madame Borne. Et ça, ce n’est pas gagné d’avance

Une poule qui a trouvé un couteau

Ce qui se révèle en fait depuis le dimanche 19 juin, qui a vu la défaite cuisante de celui à qui tout avait réussi depuis la préparation par la haute fonction publique d’État l’oligarchie et la justice, de son arrivée à l’Élysée, c’est la faiblesse politique d’Emmanuel Macron. On ne parle pas ici de rapports de force et de soutiens, mais de qualités personnelles à base d’intelligence des situations, d’expérience, de rapport à la Nation, ce qui construit la capacité à gérer la conflictualité intrinsèque au fait politique. Emmanuel Macron en est massivement dépourvu. Amoureux de lui-même et doté d’un narcissisme frisant la pathologie, il est arrivé aux affaires, sans « cursus honorum » digne de ce nom. Il n’a jamais milité, ne s’est jamais investi dans une activité d’utilité sociale, n’a jamais dirigé une entreprise ou une association, et bien sûr, sollicité ou occupé un mandat électif quelconque. Pour faire de la politique et exercer des responsabilités, il faut s’intéresser aux gens, voire les aimer. Emmanuel Macron n’aime que lui-même.

Aussi il apparaît manifestement complètement dérouté par la situation que lui imposent les résultats des élections législatives. Lors de son investiture, après son étrange victoire du 24 avril, il ne s’est trouvé personne pour se tenir derrière lui et lui marteler les deux adages romains réservés à ceux qui rentraient à Rome triomphalement : cave ne cadas, « prends garde de ne pas tomber ! » et memento mori « souviens-toi que tu es mortel ». Non, Macron s’est contenté de « l’ovatio » donnée par les courtisans et a pris pour argent comptant ce que lui disait une Marisol Touraine énamourée : « ce pays est à toi maintenant, tu peux l’embarquer ». La douche froide du 19 juin lui a-t-elle rappelé un autre adage romain : « la Roche Tarpéienne est près du Capitole » ? Peut-être, mais le problème avec lui, c’est que depuis cinq ans, il a fait de la politique d’une seule manière. En utilisant exclusivement un autoritarisme centralisé et en violant la Constitution avec la fusion de trois pouvoirs séparés. Avec en particulier la transformation de l’Assemblée nationale en un bureau d’enregistrement de ses décisions personnelles.

Le retour du parlementarisme

Le problème pour lui est qu’aujourd’hui, notre pauvre Constitution de 1958, malmenée voire défigurée par ses prédécesseurs et lui-même, est en train de reprendre ses droits. La France est dotée d’un système particulier à double légitimité démocratique. Un président aux pouvoirs relativement étendus et un Parlement doté lui aussi des prérogatives classiques d’une république parlementaire. Il semble bien que le balancier soit reparti en direction du parlementarisme, puisque le président de la République est tenu par ce que décidera l’Assemblée nationale concernant le gouvernement de la France. Ceux qui parlent aujourd’hui de blocage se trompent. Le processus régulier implique à ce jour un certain nombre d’étapes. Tout d’abord, la nouvelle Assemblée doit être installée, organisée et formellement dotée de ses prérogatives. Les groupes étant composés, il va falloir élire son président, quatrième personnage de l’État, constituer les commissions, etc. Elle pourra ensuite siéger et jouer son rôle. Dont le premier est de contrôler le gouvernement. Par conséquent, le président de la République, comme sous les régimes précédents des IIIe et IVe, doit choisir le Premier ministre. Il appartient à celui-ci de composer son gouvernement dont les membres sont ensuite formellement nommés par le Président. Depuis les débuts de la Ve République, il est de tradition que le gouvernement se présente au Parlement par un discours de politique générale du Premier ministre. Suivi ou non, au choix de celui-ci, d’un vote de confiance. C’est donc bien cette procédure qu’Emmanuel Macron et le Premier ministre qu’il aura choisi devront respecter. En l’absence, en l’état, d’une majorité absolue des députés, il y aura donc des négociations et des tractations pour essayer de la constituer, et obtenir de celle-ci le soutien au nouveau gouvernement. C’est le fonctionnement normal du parlementarisme, et l’utilisation a priori du terme de « magouilles » est une inconséquence. Le problème est que pour essayer de constituer aujourd’hui ce qui serait une majorité de circonstance, le mode d’exercice autoritaire du pouvoir d’Emmanuel Macron constitue un sérieux handicap. Il ne sait pas comment ça marche, et les seules décisions qui l’intéressent sont celles qui lui permettent de se mettre en scène.

L’article 49 de la Constitution établit la façon dont la responsabilité du gouvernement devant le Parlement peut être mise en œuvre. Soit à l’initiative du gouvernement, soit à l’initiative de l’Assemblée, et elle prend la voie d’une motion de censure qui doit être signée par au moins 58 députés avant d’être discutée. Le président de la République a la faculté, alors devant le constat de désaccord entre l’exécutif et le législatif, d’en appeler à l’arbitrage populaire en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, de nouvelles élections législatives étant alors organisées. Jean-Luc Mélenchon, toujours soucieux de gesticulations tactiques, a annoncé à grands sons de trompe que le groupe LFI déposerait une motion de censure dès le 5 juillet prochain. Donc il veut renverser un gouvernement qui n’existe pas encore ? Tout cela n’est pas très intéressant.

Élection présidentielle, l’étrange victoire

En revanche, l’embarras d’Emmanuel Macron et les difficultés auxquelles il est confronté vont permettre de prendre la mesure des rapports de force qui vont structurer la vie politique de notre pays. Et on ne peut s’empêcher d’y voir un karma réjouissant, au spectacle de celui à qui tout avait réussi, confronté à un problème peut-être insoluble pour lui. On va rappeler que sa très large victoire du 24 avril lui apportait les voix de 58 % des Français alors que toutes les études d’opinion démontraient que plus de 60 % des mêmes n’en voulaient pas comme président. Le vote du 19 juin vide son triomphe de sa substance et assure une victoire politique incontestable à celle qu’il avait surclassée au deuxième tour de la présidentielle. Car il faut être sérieux, en dehors de Marine Le Pen, il n’y a que des perdants aux législatives. Les rodomontades ineptes de Jean-Luc Mélenchon sur sa nomination comme Premier ministre l’ont discrédité, et son cartel électoral a explosé au lendemain même du scrutin. Les partis traditionnels voient encore leur représentation se réduire comme peau de chagrin. Le « parti » présidentiel est laminé, et le RN multiplie par plus de dix son nombre de députés ! Et les nouvelles qu’on apprend depuis dimanche ne sont pas bonnes. Comme par exemple le groupe LR élisant à sa tête Olivier Marleix, adversaire résolu d’Emmanuel Macron, et qui à terme entend le voir rendre des comptes sur l’affaire Alstom et sa corruption géante. Où les sondages semblant indiquer que contrairement à ce que LFI martèle, pour les Français, le principal opposant à Macron serait bien le Rassemblement national.

Alors bien sûr, il faut être réaliste, l’espérance de vie de cette assemblée ne l’emmènera pas jusqu’au terme de son mandat. Mais comment se pose le problème institutionnel de la constitution d’un gouvernement dans une configuration parlementaire comme celle-ci ? Une motion de censure suivie d’une dissolution est peu probable à court terme. La France est en campagne électorale depuis un an, un certain nombre de nouveaux parlementaires viennent d’arriver au Palais-Bourbon, et leurs organisations politiques vont retrouver des situations financières beaucoup plus confortables, compte tenu du financement public. On comprendrait la réticence de beaucoup à remettre tout cela en cause pour repartir battre la campagne. Même, il n’est pas du tout sûr que de nouvelles élections soient plus favorables à Emmanuel Macron, on aurait tendance à dire au contraire.

les trois voies d’Emmanuel Macron

Alors, parler aujourd’hui d’impasse ou de blocage institutionnel n’est pas justifié. En revanche, les mois qui viennent devraient être assez compliqués pour Emmanuel Macron. Tout d’abord, ses faiblesses politiques personnelles à base de narcissisme, de désinvolture et d’arrogance risquent de constituer de sacrés handicaps. Ensuite, le « parti » présidentiel est essentiellement composé de traîtres de gauche et de droite, dont la fidélité politique n’est pas la caractéristique première. Emmanuel Macron est désormais un « perdant », qui de plus ne pourra pas se représenter. Et comme Nicolas Sarkozy, on peut craindre que sa perte de l’immunité présidentielle à terme lui vaille quelques soucis judiciaires. Les magistrats français adorent les vendettas. Donc les girouettes professionnelles qui forment l’armature du macronisme vont probablement avoir très envie d’aller voir ailleurs. La forte dégradation de la situation économique et financière à laquelle les Français vont être confrontés à la rentrée va probablement déboucher sur une actualité sociale très agitée.

Il y a donc trois scénarios possibles pour le Jupiter capitolin au bord de la Roche Tarpéienne :

• Motion de censure dans quelque temps, dissolution, et renvoi à l’Assemblée d’une majorité macronienne. Peu probable, mais il ne faut pas insulter l’avenir.

• Motion de censure dans quelque temps, dissolution de l’Assemblée et nouvelle majorité hostile. Cohabitation et Macron devenant fleuriste « inaugureur » de chrysanthèmes. Possible.

• Motion de censure dans quelque temps, dissolution de l’Assemblée et nouvelle majorité hostile. Jurisprudence McMahon, se soumettre ou se démettre. Emmanuel Macron s’en va. Direction les cabinets des juges d’instruction. On ne sait jamais.

Évidemment, ces trois scénarios sont garantis sans schadenfreude…

Régis de Castelnau