Commentaires sur le changement d’attitude de la CPI
C’est une pierre jetée dans le jardin d’Alassane Ouattara. D’une part, à travers ses avocats, il a déposé des requêtes pour empêcher ce dénouement. Selon le conseil de l’État, cela occasionnerait des troubles en Côte d’Ivoire.
D’autre part, la loi n°2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution ivoirienne, que le chef de l’État a fait adopter par voie référendaire, est limpide. Aucun Ivoirien ne peut être contraint à l’exil et retenu, hors de son pays, contre son gré.
Alassane Ouattara est ainsi aux pieds du mur. Car son « frère » Laurent Gbagbo ne rêve que d’une chose, regagner son pays pour être auprès des siens. Non seulement il n’a aucun bien nulle part ailleurs dans le monde, mais, après enquêtes et investigations de la Cour, il a été déclaré indigent. Il ne peut donc continuer son séjour en Europe.
Contrairement à ce que des officines prétendent, c’est Alassane Ouattara que le monde entier observe dans la gestion de cette patate chaude. Il a bénéficié de concessions politiques pour être là où il est, et il a le choix entre conduire la tactique vaine de réduire ses opposants à leur plus simple expression ou tendre la main au nom du « dialogue, l’arme des forts ».
Il sera jugé cartes sur table après avoir fait condamner parallèlement et par contumace, à 20 ans de prison, les ex-prisonniers de la CPI.
Félix Houphouët-Boigny, dont il se réclame et prétend poursuivre l’œuvre, a été un grand manœuvrier. Celui-ci a fait arrêter trois fois (1968, 1971 et 1992) Laurent Gbagbo sous son mandat, l’a emprisonné mais l’a toujours amnistié afin qu’il continue le métier qu’il a épousé, la politique.
Houphouët-Boigny, en effet, avait plus d’un tour dans son sac. Le 3 mars 1986, il surprenait tout le monde en revenant de France avec, dans son vol présidentiel, Emmanuel Dioulo qui menaçait, avec son avocat Jacques Vergès, de publier un livre blanc.
En effet, le 20 mars 1985, le député-maire du Plateau quittait clandestinement la Côte d’Ivoire après l’éclatement du conflit financier opposant la Banque nationale de développement agricole (BNDA) à sa société, la Compagnie générale d’export-import (COGEXIM).
C’est ainsi que Houphouët a mis tout en œuvre pour obtenir la fin de l’exil en France (février 1982 – septembre 1988) de Laurent Gbagbo qui y avait le statut de réfugié politique. « L’oiseau ne se fâche pas contre l’arbre », triomphait-il au retour du trouble-fêtes.
Mais, contrairement à Dioulo qu’il a écrasé sous son rouleau compresseur, Houphouët-Boigny n’a pas réussi à neutraliser politiquement Gbagbo. Celui-ci va créer, en novembre 1988 et dès son retour au pays, son parti, le FPI afin de lutter pour la fin du parti unique.
« On peut quitter la prison pour la présidence de la République et vice-versa », défendait Gbagbo à sa sortie de prison en août 1992. Cette prophétie, tenue sous le Gouvernement du Premier ministre Alassane Dramane Ouattara qui l’a arrêté, le 18 février 1992, au nom de l’ordonnance anti-casseurs, va se réaliser.
Le 26 octobre 2000, Gbagbo est élu président de la République et le 11 avril 2011, il est, à nouveau, arrêté à la résidence des chefs d’État ivoiriens dévasté par les bombardements français.
Il est transféré, le 30 novembre 2011, au quartier pénitentiaire de La Haye, à Scheveningen, poursuivi, devant la CPI, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Ce leader qui s’est toujours dit « otage de la France pour laisser Ouattara diriger le pays » et qui s’est résolu à « aller jusqu’au bout », est, à nouveau, libre de ses mouvements. À la veille de son 75è anniversaire, le 31 mai, et à cinq mois de la présidentielle du 31 octobre 2020. Et le Landerneau politique est en ébullition.
F. M. Ballo Bally Ferro
CPI: Les éclairages d’un magistrat sur le forum Questions De Droit
CE QUE LA CPI A DÉCIDÉ
Je constate que la décision de la Chambre d’Appel de la CPI suscite bien des interrogations. Dans l’optique d’en restituer fidèlement la teneur, j’ai décidé de donner dans un premier temps l’ensemble des conditions qui étaient imposées, la décision de ce jour de révoquant certaines d’elles, la liste de celles qui sont maintenues, avant de les commenter.
LA LISTE DES CONDITIONS
i) S’engager par écrit à se conformer à toutes les instructions et ordonnances de la Cour, notamment en comparaissant devant la Cour lorsque celle-ci l’ordonnera, et accepter que la procédure d’appel devant la présente Chambre pourrait se poursuivre en leur absence, s’ils ne se présentaient pas devant la Cour après en avoir reçu l’ordre ;
ii) Informer la Chambre et l’État qui les accueille de leur adresse et de leurs coordonnées, et demander à la Cour son autorisation avant de changer d’adresse ;
iii)Ne pas se déplacer en dehors des limites de la municipalité dans laquelle ils résident dans l’État d’accueil, à moins d’y avoir été expressément autorisés au préalable par la Cour ;
iV) Remettre au Greffe toutes les pièces d’identité dont ils disposent, en particulier leur passeport ;
V) Se présenter chaque semaine auprès des autorités de l’État d’accueil ou auprès du Greffe ;
Vi) Ne pas entrer en contact, que ce soit directement ou indirectement, avec un quelconque témoin cité par l’Accusation dans le cadre de cette affaire, ou avec une quelconque personne dont le Procureur leur a révélé qu’elle a été entendue dans le cadre de l’enquête en cours en Côte d’Ivoire, sauf par l’intermédiaire du conseil autorisé à les représenter devant la Cour et conformément aux protocoles applicables ;
Vii) S’abstenir de toute déclaration publique au sujet de l’affaire, que ce soit directement ou indirectement, ou d’entrer en contact avec le public ou de faire des déclarations à la presse au sujet de l’affaire ;
et viii) Se conformer à toute autre condition raisonnable imposée par l’État dans lequel ils seront
LA DÉCISION DE CE JOUR
65. Compte tenu de ces circonstances, la Chambre d’appel estime que l’imposition continue de certaines conditions énoncées au paragraphe 60 de l’arrêt n’est pas nécessaire.
66. La Chambre d’appel considère qu’il convient de révoquer les conditions (iii), (iv), (v) et (viii) du paragraphe 60 de l’arrêt, telles qu’elles sont énoncées dans le présent paragraphe au paragraphe 25. Conditions (i), (ii) ), vi) et vii) du paragraphe 60 de l’arrêt sont maintenus.
i) S’engager par écrit à se conformer à toutes les instructions et ordonnances de la Cour, notamment en comparaissant devant la Cour lorsque celle-ci l’ordonnera, et accepter que la procédure d’appel devant la présente Chambre pourrait se poursuivre en leur absence, s’ils ne se présentaient pas devant la Cour après en avoir reçu l’ordre ;
ii) Informer la Chambre et l’État qui les accueille de leur adresse et de leurs coordonnées, et demander à la Cour son autorisation avant de changer d’adresse ;
LA LISTE DES CONDITIONS QUI SONT MAINTENUES
Vi) Ne pas entrer en contact, que ce soit directement ou indirectement, avec un quelconque témoin cité par l’Accusation dans le cadre de cette affaire, ou avec une quelconque personne dont le Procureur leur a révélé qu’elle a été entendue dans le cadre de l’enquête en cours en Côte d’Ivoire, sauf par l’intermédiaire du conseil autorisé à les représenter devant la Cour et conformément aux protocoles applicables ;
Vii) S’abstenir de toute déclaration publique au sujet de l’affaire, que ce soit directement ou indirectement, ou d’entrer en contact avec le public ou de faire des déclarations à la presse au sujet de l’affaire ;
MES COMMENTAIRES :
1) On constate que c’est le changement d’adresse, c’est-à-dire de la volonté se de se fixer permanemment à un endroit qui exige l’autorisation préalable de la CPI et non le droit se déplacer partout dans le monde. Il s’ensuit que le Président Laurent Gbagbo et le Ministre Charles Blé Goudé ont la liberté de se déplacer partout dans le monde y compris en Côte d’Ivoire, sans autorisation. S’il décide de se fixer dans leur pays ils, devront le faire avec l’accord de la CPI. Je ne crois pas que ce soit la chose la plus difficile à obtenir. On constate que l’obstacle à leur liberté de mouvement est plus que mineur.
2) Les décisions de condamnation par contumace ne leur interdisent pas de rentrer chez. Au contraire, elle ont fait naître une obligation de se présenter devant le Tribunal pour se défendre. D’autre part les condamnations par contumace sont annulées dès la présentation des personnes qui en ont fait l’objet.
3) Elles ne sont pas exécutoires, parce qu’il ne s’agit pas de décisions définitives. Par conséquent la perte des droit civils n’est pas applicable.
4) Les personnes poursuivies en matière criminelle, même si elles ont fait l’objet d’une condamnation peuvent comparaître libres.
5) C’est un droit pour le Président Laurent Gbagbo, en sa qualité d’ancien de l’Etat de bénéficier d’une service de sécurité et non une faculté pour les autorités. Aux cas où, elles ne voudront pas se soumettre à leurs obligations, cela ne saurait constituer un obstacle quelconque pour son retour, il lui est loisible d’ailleurs de refuser et d’organiser lui-même sa sécurité.
6) Comme les juridictions internes, les juridictions internationales auxquelles la Côte Ivoire à adhérer par voie de traité font partie de l’organisation judiciaire ivoirienne. Comme un citoyen qui a bénéficié d’une liberté provisoire de la part d’un tribunal pénal interne n’a pas à attendre des autorités politiques l’autorisation de rentrer chez lui, il en est de même pour le Président Laurent Gbagbo et le Ministre Charles Blé Goudé. Par ailleurs la Constitution ivoirienne interdit qu’un ivoirien soit contraint à l’exil. Ce sera une violation de leurs droit de soumettre leur retour à une quelconque condition.
7) Enfin, ils ont retrouvé leur liberté d’expression, quitte seulement à garder leur réserve sur l’affaire, en plus de ne pas approcher les victimes et les temoins et d’être obligé de se présenter chaque fois que la CPI le demandera.
Du Juge Grah Ange Olivier (texte intégral)