Brest : une sexagénaire meurt d’une péritonite après plus de 10 heures d’attente aux urgences

Dans la nuit du 12 au 13 juillet, une patiente de 61 ans est décédée aux urgences du CHRU de la Cavale Blanche à Brest, en Bretagne. Pour « Marianne », sa fille témoigne et accuse le personnel soignant de traitement « inhumain » au cours d’une nuit d' »enfer » passée aux urgences à attendre désespérément que sa mère soit prise en charge.

« Je veux que ma lettre permette de briser le silence sur ce qu’il s’est passé dans cet hôpital. Je ne veux pas que l’enfer vécu par ma mère devienne quelque chose de banal », explique à Marianne Malgwenn Le Mat. Le 22 juillet, la jeune femme a publié une lettre ouverte largement partagée sur les réseaux sociaux. Elle y raconte le calvaire de sa mère, Ghislaine, 61 ans, décédée aux urgences de l’hôpital de la Cavale Blanche, à Brest, où elle a passé une nuit entière à attendre qu’on la prenne en charge.

Le 12 juillet, Ghislaine Le Mat, affaiblie et victime de violents maux de ventre, appelle le Samu. Après quelques minutes d’une discussion durant laquelle elle signale être diabétique, elle finit par être emmenée en ambulance aux urgences du CHRU de Brest, l’hôpital le plus proche. A son arrivée, aux alentours de 20 heures, Ghislaine Le Mat est accueillie par un infirmier : « Il a estimé que ce n’était pas urgent, qu’elle avait sûrement un épisode de constipation, nous raconte Malgwenn Le Mat. Il a trouvé ça étonnant qu’elle ait la diarrhée mais il n’a pas cherché plus loin ». En dehors de cet infirmier, la famille Le Mat ne croise à son arrivée aucun médecin : « Ni mes parents ni moi-même ne sommes des habitués des hôpitaux. Je pensais qu’ils allaient la suivre, regarder son dossier pour tenter de comprendre ce qu’elle avait, explique Malgwenn. A la réflexion, je ne suis même pas certaine qu’ils aient ouvert son dossier ». Ghislaine Le Mat, son époux et sa fille restent ensuite dans les couloirs des urgences : « On nous a assuré qu’il n’y aurait qu’un tout petit peu d’attente », se rappelle Malgwenn. En réalité, le calvaire ne fait que commencer.

Des heures d’attente dans le couloir des urgences

Parmi les autres patients, dans le couloir des urgences, Ghislaine se tord de douleurs, prise de violents vomissements : « On était obligé de porter ma mère jusqu’aux toilettes parce qu’elle était trop faible pour marcher seule ». Malgwenn explique qu’aucun personnel soignant ne les interpelle au cours d’un de ces multiples trajets : « Elle vomissait noir et aucun infirmier ne s’en est inquiété ». Après 7 heures, à bout de forces, Ghislaine Le Mat renonce à se rendre aux toilettes : « Elle était sur cette chaise inconfortable, elle baignait dans ses déjections fécales et dans cette substance noire qu’elle vomissait sans relâche », détaille la jeune femme.

Pendant des heures, la famille Le Mat attend un médecin qui ne vient pas. Vers 2h30 du matin, son état empire : « Là, elle a commencé à perdre la raison, explique Malgwenn. Ma mère n’était pas folle et ne l’a jamais été. Mais la souffrance qu’elle a subie l’a transformée en démente ». Elle commence à griffer et à invectiver sa fille et son époux. « On a réussi à la calmer un peu, et puis ça a été pire. Elle s’en est pris à elle-même ». Ghislaine s’arrache les cheveux – « des mèches entières », précise la jeune femme. Malgwenn réclame un sédatif à l’accueil, qu’on refuse de lui donner en l’absence de médecin.

Les patients tentent d’apporter leur aide. Un jeune homme propose le box où il attend un médecin, dont il estime avoir moins besoin : « Mais le personnel soignant a refusé qu’ils échangent leurs places en expliquant que ce n’était pas le tour de ma mère ». « Au bout d’un moment, j’ai été obligée de lui entraver les poignets pour éviter qu’elle se fasse du mal ». Mais rien n’y fait : « Elle se frappait le ventre, comme si elle voulait se provoquer une douleur qu’elle pouvait contrôler ».

Admise en box à 4 heures du matin

Alertée par les hurlements, une infirmière finit par s’approcher de la famille Le Mat aux alentours de 4 heures du matin, indique sa fille : « Mon père lui a montré le tas de cheveux qu’elle s’était arrachés et qu’il avait rassemblés. Il lui a dit qu’on pourrait en faire une perruque. A partir de là, elle a semblé prendre conscience de l’état de souffrance de ma mère ». Ghislaine obtient enfin un box et est auscultée par un médecin interne. Perfusée, la sexagénaire reçoit une petite dose de morphine. Selon sa fille, aucune explication n’est donnée : « On lui a interdit de boire alors qu’elle vomissait de la bile noire sans discontinuer depuis des heures, et personne ne lui a une seule fois dit pourquoi ! Elle était désespérée ». Alitée, Ghislaine Le Mat aurait là encore fait face à l’indifférence apparente du personnel soignant : « Personne ne répondait à ma mère quand elle disait bonjour. Elle était comme transparente, comme si elle n’était pas humaine ».

Vers 6 heures du matin, Malgwenn prend connaissance des mauvais résultats de la prise de sang de sa mère. Cette dernière, lui explique-t-on, devra passer un scanner quelques heures plus tard, à 9h30. Soit plus de 12 heures après son arrivée aux urgences. « C’est à ce moment-là qu’on lui a enfin dit qu’elle ne pouvait pas boire parce que c’était déconseillé pour un scanner. Pourquoi est-ce qu’on ne nous a pas dit le choses dès le début, pour éviter qu’elle ne s’inquiète encore davantage ? ». En fin de matinée, la famille Le Mat reçoit les résultats : « Ils étaient très mauvais. Ma mère est décédée quelques heures plus tard d’un choc septique résultant d’une péritonite aiguë ».

Une enquête interne ouverte à l’hôpital

Pas plus d’explications ne seront fournies à Malgwenn et à son père. Pendant dix jours, la jeune feme de 24 ans explique avoir fait face au silence radio de l’hôpital. Ce n’est que le 23 juillet, au lendemain de la publication de sa lettre ouverte sur Facebook, qu’elle reçoit une lettre signée de la main de Philippe El-Saïr, directeur général du CHRU de Brest. Celui-ci lui présente ses condoléances et l’informe de l’ouverture d’une enquête interne : « Un médiateur-médecin doit prendre contact avec moi et j’attends ce rendez-vous avec impatience », nous dit Malgwenn, qui n’a pas encore décidé de porter plainte : « Je verrai après ce rendez-vous ».

Contacté par nos soins, le CHRU préfère utiliser le terme de « processus de relation avec les usagers » à celui d’enquête interne, et nous répond refuser de « s’exprimer par voie de presse interposée » : « C’est à la procédure en cours d’apporter des réponses ». Même refus de nous répondre à l’agence régionale santé de Bretagne, qui reconnaît néanmoins un « incident » dont il lui faut encore « identifier les causes ».

La situation est d’autant plus délicate pour le CHRU de Brest qu’un événement similaire avait eu lieu ces dernières années dans le couloir de ses urgences : en 2016, un octogénaire y était décédé sur son brancard, dans le couloir, trois heures après son arrivée. La même année, une autre lettre ouverte avait été largement partagée sur Facebook, décrivant comment une patiente atteinte d’un cancer avait dû attendre près de dix heures avant d’être prise en charge.
Mariane.fr