Brésil : Non, Bolsonaro n’a pas été élu « démocratiquement »

Brésil

La campagne de Jair Bolsonaro a été marquée par les « Fake News ». Mais le plus grand Fake News, repris par toute la presse et dirigeants politiques internationaux, c’est d’affirmer qu’il aurait été élu « démocratiquement ». Bien au contraire, ces élections ont été les plus antidémocratiques de l’histoire récente brésilienne.

Philippe Alcoy,mercredi 31 octobre

Depuis la victoire de l’extrême-droite brésilienne dimanche dernier, on peut lire de tout dans la presse internationale. Mais aussi bien les analyses les plus inquiètes que celles les plus « bienveillantes » à l’égard du très réactionnaire Jair Bolsonaro sont d’accord sur un point : les brésiliens se seraient exprimés démocratiquement sur leur nouveau président. Pourtant, ce constat qui fait l’impasse sur les conditions et les circonstances de la campagne présidentielle est des plus faux.

En réalité depuis 2016, le Brésil traverse une des périodes les plus anti-démocratiques depuis la fin de la dictature militaire dans les années 1980. Et dans ce cadre les élections de 2018 sont les plus anti-démocratiques et manipulées de l’histoire récente du pays. Voyons de plus près.

« Lava-jato » : un deux poids, deux mesures dans la lutte contre la corruption

Tout d’abord le cadre. En effet, ces élections se sont déroulées dans le cadre de l’arbitraire judiciaire fruit du coup d’Etat institutionnel contre l’ex-présidente Dilma Rousseff en 2016. Ainsi, depuis 2016 se renforce ce que l’on pourrait appeler un « bonapartisme judiciaire » où une caste de juges réactionnaires privilégiés et directement liés aux intérêts patronaux intervient et configure selon ses intérêts de classe la vie politique du pays.

Pour ce faire, le pouvoir judiciaire a utilisée la soi-disant opération anticorruption « Lava Jato », qui est présentée comme une action judiciaire exemplaire. La « Lava Jato », principal instrument de l’arbitraire judiciaire, a servi à déclencher des investigations pour corruption ciblées contre des politiciens « encombrants », notamment ceux du Parti des Travailleurs (PT). Même si pour présenter une facette de « neutralité », la « Lava Jato » s’est également attaqué à des politiciens des partis de centre et de droite, le traitement des dossiers n’est nullement le même selon le parti auquel appartient « la cible ». Ainsi, les politiciens de droite ont vu leurs procédures avancer à un rythme bien plus lent que les dirigeants du PT (ici il faudrait rappeler que Dilma n’avait pas été destituée pour corruption mais pour une manœuvre fiscale totalement banale pour les différents gouvernements à travers le monde).

Lula emprisonné et empêché de se présenter en dépit de la résolution onusienne et de preuves tangibles contre lui

En ce sens, le cas de l’ex-président Lula est emblématique. Lula était le principal candidat à l’élection présidentielle qui détenait encore, à quelques semaines des élections, 40% des intentions de vote. Mais, des secteurs importants du patronat brésilien et leurs « sponsors » impérialistes considéraient que le PT n’était pas capable d’appliquer toutes les contre-réformes qu’ils exigeaient. Le pouvoir judiciaire, dans les mains de Sergio Moro, a décidé d’accélérer les rythmes d’un procès pour corruption, rempli d’irrégularités et avec très peu de preuves fiables, et a décrété la prison arbitraire de Lula en avril dernier.

Mais Lula n’a pas seulement été emprisonné arbitrairement. Il a été soumis à des conditions de détention tout à fait particulières et sans commune mesure. Alors qu’il restait le candidat du PT, il a été empêché de participer d’une quelconque manière qu’il soit à la campagne : en dépit de la résolution de l’ONU, le pouvoir judiciaire l’a empêché de participer aux débats, d’enregistrer des messages politiques, de donner des interviews. Finalement, à quelques semaines du premier tour, il a renoncé à se présenter et laissé la main à Fernando Haddad. Ainsi des millions de brésiliens on été empêchés de voter pour qui ils voulaient par une caste de juges réactionnaires.

3.5 millions d’électeurs, dont 1.5 du Nordeste, dans l’impossibilité de voter

Mais si l’emprisonnement arbitraire de Lula a été la manipulation et l’interférence la plus grande et grave du bonapartisme judiciaire elle n’a pas été la seule. Une autre manipulation très importante, qui a eu relativement peu de presse au niveau international, a empêché 3,4 millions d’électeurs de voter, dont 1,5 millions dans la région Nord-Est où le PT fait ses meilleurs scores. En effet, un changement technique obligeait la moitié des électeurs à enregistrer leurs empreintes digitales numériquement mais ils ne pouvaient le faire que jusqu’à mai dernier. Face au nombre extraordinaire d’électeurs (2,4% du total) qui n’avaient pas pu faire à temps l’enregistrement un recours avait été déposé par le Parti Socialiste Brésilien auprès de la justice électorale qui a refusé.

Les menaces « d’intervention » des militaires et la pression sur les juges

Mais tout ne s’arrête pas là. Non seulement le pouvoir judiciaire est intervenu pour manipuler ces élections. Mais c’est aussi le cas du haut commandement de l’armée brésilienne, si chère à Bolsonaro, qui, à deux reprises a fait pression pour qu’en avril, la justice décrète l’emprisonnement de Lula, et qu’en septembre la justice électorale invalide sa candidature définitivement. A deux reprises, les militaires ont donc émis des déclarations allant dans le sens de menacer « d’intervenir » si l’on permettait à Lula de se présenter.

Fake News et financement illégal du patronat dans la campagne de Bolsonaro

Enfin, mais pas moins important, à quelques jours seulement du second tour la presse révélait que des grands patrons avaient dépensé des millions de dollars pour financer illégalement la campagne de Bolsonaro en déclenchant des « Fake News » contre Haddad sur les réseaux sociaux, notamment sur WhatsApp. Une méthode néfaste qui a eu un impact très important dans l’opinion publique et dans la création d’un climat « anti-PT ». On n’oubliera pas par exemple la BD de Titeuf, « Le guide du zizi sexuel », brandie en plein JT par Bolsonaro comme faisant partie d’un soi-disant « kit gay » qui selon le candidat d’extrême-droite apprenait aux enfants « comment devenir homosexuel ».

A tout cela il faut ajouter les assassinats politiques et le nombre énorme d’agressions de la part des partisans de Bolsonaro tout au long de la campagne. Le coup de couteau que le candidat réactionnaire a reçu en fait aussi partie de cette violence politique et sociale déclenchée par son discours de haine.

L’impasse de la stratégie électoraliste et conciliatrice du PT

Donc, dans ce contexte affirmer que Bolsonaro a été élu « démocratiquement » n’est qu’une « fake news » de plus. C’est tout le contraire que l’on a vu au Brésil ces derniers mois. Mais même si cela peut paraître incroyable, le candidat du PT, Fernando Haddad, quelques heures après la victoire de Bolsonaro, participait à cette banalisation des coups antidémocratiques du régime brésilien et écrivait sur son compte Twitter : « Président Jair Bolsonaro. Je vous souhaite du succès. Notre pays mérite le meilleur. J’écris ce message aujourd’hui, le cœur léger, sincèrement, pour qu’il stimule le mieux de nous tous. Bonne chance ».

Dans la droite ligne de sa stratégie électoraliste et conciliatrice, le PT, pourtant principale victime politique, continue de feindre de croire, et participe à l’entretien de cette illusion, au caractère démocratique des institutions brésiliennes. Cette fois en souhaitant « bonne chance » à celui qui se prépare pour lancer des attaques sauvages contre les droits démocratiques, contre les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, qui est en train de libérer des forces réactionnaires très dangereuses pour l’ensemble des opprimés. Encore une fois, les travailleurs, la jeunesse précarisée et opprimée, les femmes, les LGBT, les Noirs doivent s’organiser pour résister dans les rues, dans les lieux de travail et d’étude contre les avancées de l’extrême-droite au pouvoir !
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