Affaire McKinsey : 5 bonnes raisons d’aller au pénal

OPINION. Bousculé à quelques jours de l’élection présidentielle dans la très embarrassante affaire McKinsey, Emmanuel Macron a exprimé son agacement ce week-end : « S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ». Le gant était jeté. Régis de Castelnau l’a relevé.

Affaire McKinsey : 5 bonnes raisons d’aller au pénal

Le scandale causé par les informations de la commission sénatoriale d’enquête sur le recours systématique par l’État à des cabinets de consulting a pris de l’ampleur. Les Français ont appris effarés que l’État avait eu systématiquement recours à des intervenants externes, en général des cabinets à bases anglo-saxonnes, pour des missions dont l’utilité ne sautait pas aux yeux, c’est le moins que l’on puisse dire. Le tout pour plus d’un milliard d’euros (!) pour la seule année 2021.

Ce que l’on appelle maintenant « l’affaire McKinsey » dégage des fumets particulièrement malodorants, à base de soupçons de corruption, de connivences, de conflits d’intérêts, de fraudes fiscales, de faux témoignages, et autres joyeusetés.

Tout cela fait particulièrement désordre à 15 jours du premier tour de l’élection présidentielle. Le principal intéressé, qui a manifestement impulsé ces dérives depuis son arrivée à l’Élysée en 2017, a été contraint de s’exprimer. Et il l’a fait, comme à son habitude en procédant par affirmations invérifiables et en rappelant à nouveau avec arrogance qu’il se considère intouchable. Emmanuel Macron a actualisé le fameux « qu’ils viennent me chercher ! » utilisé au moment de l’affaire Benalla : « Il faut être très clair, parce que là on a l’impression qu’il y a des combines : c’est faux, il y a des règles de marchés publics. S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal », a-t-il asséné sur le plateau de France 3.

On ressort effaré de la lecture du rapport de la commission d’enquête du Sénat. Par le volume invraisemblable des achats par l’État de ces missions externes, par leurs fréquentes inutilités, et l’importance vertigineuse des rémunérations.

Concernant les interventions du cabinet McKinsey qui sont la pierre angulaire du scandale d’État, comment se pose le problème ?

Cette société dont le siège social est aux États-Unis a une succursale en France qui emploie 600 salariés et fait un chiffre d’affaires qui avoisine les 400 millions d’euros par an. La première observation que l’on peut faire porte sur les liens personnels que les dirigeants entretiennent avec le plus haut niveau de la sphère publique. À base de connivences, de pantouflage juteux, d’allers-retours réguliers, voire de liens familiaux, l’ensemble donnant une image particulièrement déplaisante. On ne prendra que deux exemples tellement significatifs. Tout d’abord le directeur général du parti La République en Marche, Paul Midy, a travaillé pour McKinsey pendant sept ans, de 2007 à 2014. Il y était notamment chargé de la « conduite de la réforme de l’État »… Ensuite il y a Victor Fabius, directeur associé du même cabinet dont le père est président du Conseil constitutionnel…qui valide les textes de loi votés sur la base des propositions de McKinsey. Même si l’infraction de « prise illégale d’intérêts » du Code pénal, n’est peut-être pas constituée, il y a là un problème politique et éthique dont la République aurait dû se dispenser.

Le scandale a vraiment éclaté lorsque l’on a appris que McKinsey, fournisseur privilégié à l’État de missions onéreuses et à l’utilité discutée, n’avait pas payé un sou d’impôt sur les bénéfices depuis 10 ans ! Puisque lesdits bénéfices remontaient intégralement à la maison mère dont le siège social est situé… dans l’État du Delaware, paradis fiscal bien connu.

Que ça aille au pénal !

Le président de la République ayant conseillé à ceux qui s’interrogent « d’aller au pénal », il est nécessaire de fournir quelques pistes. En rappelant que l’expression utilisée par le chef de l’État est une vulgarité et ne veut rien dire puisque « le pénal » n’est pas un lieu où l’on va. L’action publique est menée par l’autorité de poursuite, c’est-à-dire le parquet qui est sous l’autorité de l’exécutif dont le chef s’appelle actuellement Emmanuel Macron. Les parties civiles qui y ont intérêt ont dans ce domaine des pouvoirs restreints.

Dressons donc un petit catalogue des infractions pénales que recèlerait « l’affaire McKinsey ».

Il y a tout d’abord la fraude fiscale, puisque l’optimisation utilisée par le cabinet obéit à des règles assez strictes. Et il semble quand même très problématique qu’une filiale dont le siège est en France, qui emploie 600 personnes et fait un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, puisse transférer la totalité de ses bénéfices à sa maison-mère. Il est donc indispensable que l’administration fiscale lance une procédure de contrôle et s’il apparaît que cette facilité a été abusivement utilisée, prononce un redressement et transmette le dossier à la juridiction compétente pour les poursuites pénales.

Il y a ensuite la concussion. C’est la question de la passivité des agents publics face à la probable existence de cette infraction. L’attitude des différents ministres venant dire aujourd’hui « on ne savait pas » est simplement grotesque. D’abord, il est clair que l’administration de Bercy était aux premières loges pour connaître cette situation. Ensuite, Emmanuel Macron nous dit que tous les marchés attribués à McKinsey l’ont été après des procédures de mise en concurrence. Eh bien précisément, pour pouvoir y concourir et être attributaire, il faut justifier de l’accomplissement de ses obligations fiscales. Tous les agents publics intervenants à ces procédures étaient donc parfaitement au courant. Le fait d’être resté passif a permis à McKinsey de ne pas régler à l’État des sommes qu’il devait probablement. L’agent public qui a contribué à cette exonération illégale a commis le délit de concussion.

De plus, il faut maintenant directement répondre à Emmanuel Macron et passer au délit de favoritisme. C’est celui qui sanctionne le fait de violer ou de ne pas appliquer les règles de la commande publique. Le président de la République nous dit « il y a eu des procédures d’appel d’offres, donc tout va bien ». Non, tout ne va pas bien. Une procédure peut présenter extérieurement tous les aspects de la régularité et recéler des manquements que seule une étude approfondie permet d’identifier. La question de ce que l’on appelle « les cahiers des charges sur mesure » qui contiennent des exigences permettant d’avantager tel ou tel, les critères de choix biaisés, la subjectivité de la notion de « mieux-disant », il existe tout un tas de ficelles pour contourner les règles. Les identifier nécessite un travail d’enquête minutieux que seule la procédure judiciaire permet. Encore faut-il que la justice, pénale ou administrative, soit saisie. Elle peut l’être par les concurrents évincés, et il est clair que parmi les participants au festin à 1 milliard d’euros, personne parmi les cabinets de conseil, n’a envie de se mettre l’État à dos par des recours intempestifs.

Enfin, il y a nécessairement le problème de la corruption. Pour être constituée, celle-ci doit avoir provoqué l’attribution par la personne publique d’un avantage, en l’occurrence un marché, en contrepartie d’une « rétribution » occulte dont il n’est pas nécessaire qu’elle soit en numéraire. Pas plus qu’elle soit concomitante à l’attribution de l’avantage. Par exemple : « je définis une mission, utile ou inutile pour l’État, je vous préviens et j’organise un appel d’offres en veillant à ce que vous en soyez l’attributaire. En contrepartie, le jour venu, vous mettrez à la disposition de mon équipe de campagne un certain nombre de vos salariés dont les prestations seront bénévoles et présentées comme militantes. » Cet exemple est bien évidemment purement fictif et toute ressemblance avec quelque chose ayant réellement existé serait purement fortuit…

Enfin toujours, le catalogue comprendra un petit bonus. Le directeur de McKinsey a été entendu par la commission d’enquête, sous serment, comme l’exige la loi. Toute fausse déclaration est assimilée au délit de faux témoignages sanctionné par le Code pénal. Karim Tadjeddine a prétendu que sa société payait ses impôts en France, et la commission a transmis au parquet un signalement concernant le risque de faux témoignage.

Silence complice du PNF ?

Alors Emmanuel Macron nous dit que si nous ne sommes pas contents il faut que nous « allions au pénal ». Et c’est là que sa phrase prend toute sa dimension déplaisante. Il sait parfaitement que la justice ne bougera pas. Le Parquet national financier (PNF) a contribué à son élection avec la procédure fulgurante qu’il avait lancée contre François Fillon. Depuis cinq ans, son entourage et ses amis ont été soigneusement préservés. En cette période électorale, les magistrats ont quand même trouvé le moyen d’intervenir à nouveau contre… Fabien Roussel d’une part et Jean-Luc Mélenchon d’autre part. En revanche, concernant le scandale d’État majeur que constitue l’affaire des cabinets de conseil, malgré les milliards d’euros en cause, les autorités de poursuite, achevant de se déconsidérer, restent obstinément muettes.

Évidemment, aucune décision de culpabilité ne pourrait être rendue dans les semaines qui viennent, mais ce n’est pas le sujet. Car ce silence judiciaire que l’on ne peut ressentir autrement que méprisant démontre une chose grave. La presse étrangère et les O.N.G. sont extrêmement sévères sur la France, la présentant souvent comme une république bananière. Le fonctionnement actuel de la justice, devenue, en violation du principe de la séparation des pouvoirs, une force politique autonome qui soutient le système Macron, en est un des éléments clés.

La France a aujourd’hui un problème majeur avec le fonctionnement de sa justice.

Auteur

Régis de CASTELNAUAvocat
Frontpopulaire.fr
Publié le 28 mars 2022