Adama Toungara nommé médiateur !

« Le médiateur de la République est nommé par le président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après avis du président de l’assemblée nationale et du président du sénat » (article 166 de la constitution). Mon commentaire : attendre 10 mois avant de nommer un médiateur, sous le prétexte que le sénat n’existerait pas et nommer celui-ci à quelques heures de l’élection du président du sénat, pour éviter d’appliquer ce que prescrit la constitution qu’on a soi-même fait adopter ; il faut vraiment le faire. Je reste sans voix. Bref. Lisons ensemble ce beau décryptage signé Carelle Laeticia Goli !
Andre Silver Konan

Nomination du médiateur de la République : entre petits arrangements et calculs politiciens. Un décryptage de Carelle Laeticia Goli à lire, suite à la nomination d’Adama Toungara, député-maire (RDR) d’Abobo et compagnon de longue date du président Alassane Ouattara.

Nation: Adama Toungara nommé médiateur de la République
Adama Toungara, débute à presque 75 ans une nouvelle vie, bien « salariée » !

Si l’on s’en tient à son étymologie latine ‘’mediatio’’, médiation signifie entremise ou moyen par lequel l’on tente de faciliter un accord, un accommodement entre des personnes ou des parties qui ont un différend. Le mot médiateur provient lui du bas latin mediator , intercesseur ou entremetteur. Il est le tiers neutre, indépendant et impartial qui sert d’intermédiaire, notamment en matière de communication entre les parties.

Le médiateur se différencie du négociateur qui n’est pas indépendant, de l’arbitre dont la décision s’impose aux parties et du conciliateur qui vise à obtenir un accord de force. Affublé du groupe de mot « de la République’’, il va au delà de la simple sphère du privé, pour celle d’une nation entière.

« Mieux aurait valu une désignation, avec compétence liée du président et non discrétionnaire comme c’est le cas en l’espèce »

Ici la médiation est considérée comme un moyen efficace de régulation relationnelle entre les usagers et les administrations, plus simplement, assurer la médiation entre les administrations et les administrés. Nommé parfois ombudsman ou ombudsmédiateur dans les pays du Nord, le médiateur de la République est une institution qui doit être présentée comme un mécanisme favorisant et facilitant le fonctionnement des pratiques de la démocratie.

A l’instar de la quasi-totalité des pays du monde revendiquant un régime démocratique, la Côte d’Ivoire dispose depuis la deuxième République, de son médiateur, institué alors par la constitution du 1er août 2000. Avec la troisième République, elle en est à son troisième.

Connaissons-nous vraiment cette institution ? A quoi sert elle réellement ?

Conditions de nomination et indépendance du médiateur de la république. La  première prérogative dont jouit le médiateur de la République est son indépendance. Article 165 de la constitution ivoirienne : c’est une « autorité administrative indépendante investie d’une mission de service public. Le médiateur de la République ne reçoit d’instruction d’aucune autorité ».

Une disposition en parfaite adéquation avec son rôle d’intermédiaire entre l’Etat et ses populations. Il doit être totalement libre de pouvoir juger de la pertinence ou non des doléances à lui soumises. D’où ses immunités juridictionnelles et fonctionnelles contenues à l’article 168  de la constitution. « Le médiateur de la République ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des actes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

Cependant, son mode de désignation ne pourrait-il pas mettre à mal cette indépendance si précieuse à sa mission ? En effet, il est « nommé par le président de la République (…) après avis du président de l’assemblée nationale et du président du sénat » (article 166 de la constitution). Quel est la forme de cet avis ? Est-ce un avis consultatif ou obligatoire et conforme ? Pourquoi ce flou juridique ? Est-ce à dessein ? Si oui, quel en est le but ? Si l’on prend la première hypothèse, la plus plausible, comment pourrait-il être neutre dans un contexte africain et presidentialiste comme le nôtre?

Mieux aurait valu une désignation avec compétence liée du président de la République et non discrétionnaire comme c’est le cas, en l’espèce. Le choix du médiateur découlerait alors d’un consensus obligatoire (non d’un simple avis consultatif) entre les présidents des deux chambres du parlement et le président de la République. Un accord entre les deux pouvoirs (exécutif et législatif) qui lierait le président de la République. Celui-ci devra alors d’entériner ce choix, au moyen du décret de nomination.
D’ailleurs, la nomination, depuis le 4 avril 2018, du troisième médiateur de la République de Côte d’Ivoire, est la preuve encore que trop de pouvoir est laissé entre la main d’un seul homme, fut-il le premier d’entre les Ivoiriens. En effet, alors que notre sénat ne disposait toujours pas d’un président, seul a compté l’avis du président de l’assemblée nationale, si avis, il y a eu. Ne serait-ce pas là un vice de procédure auquel nous assistons ? Puisque la constitution est claire et n’admet pas de mesures dérogatoires.

Durée de la médiature, entre textes et réalités

C’est expressément que la loi fondamentale précise la durée du mandat du médiateur. Elle est de « six ans non renouvelable ». Cependant les mandats des deux précédents médiateurs ont excédé cette limite légale. Celui du premier, Matthieu Vangah Ekra s’est étendu sur une très large période de 2000 à 2011, un presque double mandat, qui peut s’expliquer par la situation de crise sociopolitique que traversait le pays et qui a mis à mal la bonne marche des institutions de la République.

Quant au second, N’Golo Fatogoma Coulibaly, il a été nommé le 22 juillet 2011, a prêté serment en septembre de la même année et a vu son mandat se terminer en juillet 2017, suite à sa nomination à la tête de la Haute autorité pour la bonne gouvernance.

De cette période jusqu’à avril 2018, point de médiateur, alors que le pays baigne dans un climat apaisé et que nul défaut n’est fait au bon fonctionnement de son rouage institutionnel. Ne serait-ce pas le fait que personne n’ait trouvé grâce aux yeux du président de la République ? L’hypothèse d’attendre l’avis du président du sénat serait valable si la nomination du nouveau médiateur y avait été soumise. Alors calcul politique ? On se le demande encore.

Missions, pouvoirs et prérogatives du médiateur de la République

Le médiateur de la République a pour rôle de régler par la médiation, les différends de toutes natures : opposant l’administration publique aux administrés, les collectivités territoriales, les établissements publics et tout autre organisme investi d’une mission de service public, aux administrés, impliquant les communautés urbaines, villageoises ou toute autre entité, opposant des personnes privées, physiques ou morales, à des communautés urbaines ou rurales.

Le médiateur de la République a enfin pour rôle d’aider au renforcement de la cohésion sociale. Il peut, à la requête du président de la République, contribuer à toute action de conciliation entre l’administration publique et les organisations sociales et professionnelles. Il est aidé dans sa mission, de médiateurs délégués.

Seulement, il semble absent des crises sociales qui secouent notre pays. Tout récemment en effet, le pays fut  ébranlé par de nombreuses disparitions et meurtres d’enfants. Le ‘’petit Bouba’’ en fut l’une des histoires les plus tragiques. Et alors que comme un seul homme, des Ivoiriens se sont levés pour protester, il n’y avait pas de traces de la médiature. Normal, il n’y avait pas de médiateur…

« Finalement, être le médiateur de la République « à quoi ça sert ? » A bénéficier d’immunités fonctionnelles et de prérogatives financières énormes ? »

A juste titre, l’on peut citer les crises à l’intérieur du pays entre les gendarmes et la population, la crise de l’école qui a failli paralyser l’éducation nationale, les revendications contre la Commission électorale indépendante (CEI) et contre l’illégalité du sénat…

Le fait que le pays ait été privé d’un médiateur pendant au moins dix mois, témoignerait-il du fait que cette fonction ne trouve pas son importance aux yeux du président de la République ? Il aurait pu être le contact, l’interlocuteur entre les deux parties.

Médiateur de la République, « à quoi ça sert ? »

Finalement, être le médiateur de la République « à quoi ça sert ? », pour paraphraser l’Ivoirien lambda.  A avoir un bureau cossu dans la commune présidentielle ? A bénéficier d’immunités fonctionnelles et de prérogatives financières énormes ? Notre ombudsman  aurait-il oublié sa mission de protection des droits civiques ?

Normal quand on est l’ami intime de celui qui nous nomme, son camarade de lutte politique, son plus proche collaborateur. D’ailleurs, de quelles qualités témoignent le dernier en lice ? Quand il n’a même pas pu faire ses preuves en tant que maire ? Bref.

Nous pensons que le médiateur doit être un homme ou une femme probe, impartial(e) connu(e) pour ses nombreuses qualités humaines. Quelqu’un en qui se reconnaîtrait la plupart des Ivoiriens. Est-ce le cas en l’espèce ?

Enfin, pourquoi les médiateurs sont toujours des personnes presqu’en fin de vie qui ne disposeraient pas forcément de la forme physique nécessaire à la bonne marche de leur mission ? C’est une fonction intuitu personae. Bien qu’il existe des médiateurs délégués, il faut que le principal puisse être vraiment capable de tenir son rôle. Ce qui ne fut pas le cas de M. Mathieu Ekra qui malade et moribond  ne le pouvait pas. Peut-être est-ce de là qu’est partie cette image qu’on connaît aujourd’hui du médiateur ?

L’on pourrait s’attarder sur les failles de l’institution, mais l’on gagnerait à la redynamiser, à lui donner du contenu. Peu, même très peu d’Ivoiriens la connaissent, car elle semble être perdue dans ce flot d’institutions qui se superposent les unes sur les autres, sans réel impact sur le quotidien de la majorité. Dans un pays comme le nôtre, qui veut laisser derrière lui un passé douloureux, le médiateur de la République doit être le pivot central de la cohésion nationale entre les Ivoiriens, non plus un prétexte pour récompenser ses plus loyaux dévots.

Carelle Laeticia Goli, ivoiresoir.net