À Mayotte, l’impossible confinement des plus pauvres

Tous les soirs avant les infos, on nous donne les prévisions météo de Mayotte : quels veinards, toujours sous le soleil….

Santé | Publié le 25/03/20 à 08:03 – Par G.V

À Mayotte, l’impossible confinement des plus pauvres

Face aux mesures de restriction des déplacements, le chef du service régional de l’Insee, Jamel Mekkaoui, met l’accent sur la difficile approche de la notion dite de confinement à Mayotte. En exergue : des conditions sociales et sanitaires qui compliquent largement – voire même empêchent – l’application des mesures en vigueur pour une partie de la population.

Flash Infos : Jamel Mekkaoui, vous rappelez une difficulté particulière à Mayotte en ce qui concerne les mesures de confinement. “Il est important de rappeler [que ce] à quoi correspond le “chez vous” à Mayotte [est] très différent de celui de métropole ou des autres Doms”, dîtes-vous…

Jamel Mekkaoui : Le message qui accourt en ce moment, c’est “restez chez vous”. Or, il est important de comprendre ce qu’est le “chez vous.” En ce qui nous concerne à l’Insee, c’est à relier avec l’étude sur le logement publiée en août dernier. Trois éléments forts y reviennent : sur Mayotte, nous avons 40 % de logements en tôle, trois logements sur dix n’ont pas accès à l’eau, et 57 % des logements sont en surpeuplement, dont un tiers en surpeuplement aggravé. Lorsqu’on parle de confinement et de “rester chez soi”, ici, il est important de prendre en compte la nature de ce “chez soi”. Au niveau national, le nombre de logements en surpeuplement aggravé est dérisoire. Il paraît donc difficile d’envisager le confinement de la même manière ici et en métropole, car cette notion résonne différemment à Mayotte pour la majorité de la population. Pour une famille de trois ou quatre enfants vivant dans un logement en tôle sans eau ni électricité, le “rester chez soi” est très théorique.

Dans le débat tel qu’il est porté actuellement – et c’est quelque chose que je constate souvent à Mayotte –, on oublie de contextualiser. Il le faut pourtant, car, encore une fois, le “chez soi” à Mayotte ne veut pas toujours dire grand-chose. C’est important de bien l’avoir en tête : le “chez soi” n’a pas la même signification à Mayotte que dans un autre département d’Outre-mer ou qu’en métropole. Pour rester chez soi, il faut de l’argent et des conditions de vie qui permettent de stocker. Actuellement, dans un logement en tôle, il fait 40 °C. C’est impossible d’y rester en journée, on n’y rentre que la nuit quand la fraîcheur est revenue. Ce type de logements est plus un dortoir provisoire qu’une habitation à proprement parler. D’autant que l’équipement y est rudimentaire. La TV peut y être fréquente, mais on ne s’y occupe pas avec Internet sous la climatisation par exemple.

Et puis, une autre question se pose, et elle n’est pas anecdotique : il y a une population pauvre qui bénéficie rarement des minimas sociaux. Dans ces conditions, et même si le confinement est une bonne chose, évidemment, il faut malgré tout que cette population trouve des ressources au quotidien, qu’elle survive. Alors, comment faire pour que ces familles subviennent à leurs besoins sans avoir à être dehors ? Est-ce que, même s’ils le souhaitaient, ces ménages sont en mesure de rester chez eux ?

FI : Vous soulevez la question des équipements des ménages. Il est notamment préconisé de se laver les mains longuement et régulièrement, mais beaucoup d’habitations ne disposent pas de l’eau courante. Cela complique forcément l’application de ces mesures de confinement…

JM : Trois logements sur 10 n’ont en effet pas l’eau à l’intérieur du logement. L’eau est essentielle à la vie, et dans un grand nombre de cas elle conditionne les déplacements, qui deviennent dès lors impératifs. La question de l’accès à l’eau se pose de manière importante à Mayotte. Elle est extrêmement prégnante pour des populations qui sont obligées de se fournir en eau quotidiennement. Or, si elles n’ont pas accès à l’eau à l’intérieur de leurs logements, elles doivent de fait en sortir. C’est à mon sens une réflexion à mener ici : comment permettre l’accès à l’eau tout en évitant la propagation du virus ?

FI : Une récente étude de l’Insee mettait aussi en avant de fortes différences entre villages…

JM : Notre étude sur les villages montre en effet que la problématique est accentuée dans certains territoires. On a des villages où le taux de logements en tôle est bien supérieur et où l’accès à l’eau est encore plus faible. On avait cité le cas extrême des villages de Kahani et d’Hamouro. Il y a des zones où cette problématique du confinement est donc encore amplifiée. Faire du confinement à Bouéni ou Kani-Kéli, ça va encore à peu près, mais à Hamouro ou dans les villages de Koungou, c’est une autre affaire.