27 avril 1848 : abolition définitive de l’esclavage

le 26/04/2018 par Arnaud Pagès – modifié le 01/05/2019
Coupeurs de canne à sucre en Martinique, tiré du « Portfolio des possessions et dépendances françaises », circa 1890 – source : Gallica-BnF

L’abolition de l’esclavage en France est le fruit d’un processus complexe, entamé sous la Révolution, qui trouvera son épilogue le 27 avril 1848 via un décret promulguant, enfin, sa fin définitive.

Le mardi 2 mai 1848, à la suite d’un très long débat commencé quelque soixante années plus tôt avec la fin de l’Ancien Régime, Le Moniteur universel, journal officiel de la République française, publie un texte particulier, en rapport avec un nouveau « décret relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et les possessions françaises ». Les lignes qu’il contient changeront à jamais l’Histoire.

« Au nom du peuple français.

Le Gouvernement provisoire,

Considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité.

Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres,

Décrète :

Art. 1er. L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. À partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits. »

Ce décret révolutionnaire et fondateur n’est toutefois, au moment où celui-ci est signé, pas une invention de dernière minute. Il est au contraire l’aboutissement de nombreux débats, lois et rétropédalages étendus sur plus d’un demi-siècle depuis la Révolution française de 1789.

54 ans plus tôt, le 4 février 1794, la Convention nationale, inspirée par la philosophie des Lumières, votait déjà dans l’enthousiasme et avec une large majorité la première abolition de l’esclavage.

Ce décret concernait alors uniquement les colonies, l’esclavage sur le territoire métropolitain ayant été définitivement aboli par Louis X, en 1315. Les colonies concentraient alors la totalité des esclaves sous tutelle de la France, exploités dans les plantations pour le seul profit des colons. À Saint-Domingue, à la Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion, à l’île Maurice, les esclaves devenaient ainsi théoriquement des hommes libres, jouissant des même droits que n’importe quel citoyen français.

Mais la guerre maritime avec l’Angleterre, qui occupait militairement plusieurs de ces îles, ainsi que l’opposition virulente d’une majorité de colons, empêchent la bonne application du décret, qui ne prendra finalement effet qu’à la Guyane, en Guadeloupe et à Saint-Domingue.

En 1802, lors de la paix d’Amiens signée avec la couronne britannique, qui stipule que l’Angleterre vaincue doit rendre à la France les territoires ultra-marins qu’elle lui a pris, Napoléon Bonaparte, pragmatique, prend la décision que « l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements » partout ou le décret du 4 février 1794 n’a pu encore être appliqué. L’empereur réduit ainsi en miettes tous les efforts entrepris par la Convention.

Le débat sur l’abolition définitive de l’esclavage va alors ressurgir à deux reprises.

Lors de la monarchie de Juillet tout d’abord, où la loi du 4 mars 1831 prévoit des sanctions très lourdes pour quiconque se livrerait à la traite négrière ; puis quelques années plus tard, en 1845, avec les lois Mackau, qui accordent pour la première fois un certain nombre de droits primordiaux aux esclaves.

Mais c’est à la suite de la révolution de février 1848 que l’idée d’arrêt définitif et non négociable de la traite des Noirs s’apprête enfin à se matérialiser.

Le gouvernement provisoire nomme alors Victor Schoelcher, un homme politique humaniste qui lutte avec ferveur contre l’esclavage depuis presque vingt ans, sous-secrétaire d’État aux colonies. Quelques jours plus tard, le 4 mars, Schoelcher est nommé par décret à la tête de la commission d’abolition de l’esclavage chargée de préparer l’émancipation. Le 27 avril, cette commission propose une série de décrets qui libèrent les esclaves en leur accordant le titre de citoyens ; ces décrets seront signés quelques jours plus tard par les membres du gouvernement.

C’en est fini, une fois pour toutes, de l’esclavage sur le territoire français.

Dans son édition du 5 mai, Le Moniteur universel publie un texte signé de la main de Victor Schoelcher, lequel explique toute la portée de cette abolition :

« La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine.

Elle ne croit pas qu’il suffise, pour se glorifier d’être un peuple libre, de passer sous silence toute une classe d’hommes hors du droit commun de l’humanité.

Elle a pris au sérieux son principe ; elle répare envers ces malheureux le crime qui les enleva jadis à leurs pénates, à leur pays, en leur donnant pour patrie la France, et pour héritage tous les droits du citoyen français ; par là, elle témoigne assez hautement qu’elle n’exclut personne de son immortelle devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »

La nouvelle se répand rapidement dans les colonies et provoque de graves troubles, notamment à la Martinique où les autorités de l’île décident de mettre immédiatement en application le décret, bien que celui-ci prévoyait un « délai de deux mois ».

Quelques jours plus tard, le 27 mai, les autorités de la Guadeloupe font de même.

« Des dépêches du général de brigade Rostoland et du capitaine de vaisseau Layrle, gouverneur de la Martinique et de la Guadeloupe, datées du 28 mai et parvenues aujourd’hui, annoncent que, sans attendre l’arrivée de l’acte d’abolition de l’esclavage, ils ont proclamé l’émancipation générale et immédiate des Noirs. »

Ce sont ainsi 250 000 hommes, femmes et enfants qui retrouvent la liberté.

La radicalité du décret, qui prévoit notamment la déchéance de nationalité pour tout Français possédant des esclaves, mettra un terme définitif à l’exploitation et à la traite des personnes de couleur dans les colonies.

Mieux, il inspirera, du fait des nombreux Français résidant alors en Louisiane, le mouvement d’abolition de l’esclavage aux États-Unis, qui aboutira à la guerre de Sécession et à la victoire des États du Nord anti-esclavagistes.
retronews.fr

ici l’article de Wikipédia sur Schoelcher
et sur L’abolition de l’esclavage,