Trois touristes retenues abusivement en Centre de Rétention

Le cauchemar de trois touristes sud-américaines en centre de rétention près de Rouen

A la fin du mois de juillet dernier, trois touristes sud-américaines sont arrêtées par la police aux frontières de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Elles sont ensuite placées en rétention à Paris puis Oissel près de Rouen sans motif valable. Une affaire qui ressemble à un véritable cauchemar.

Wilma, Liliana et Jennifer sont désormais hébergées par une bénévole de l'association Welcome.
Wilma, Liliana et Jennifer sont désormais hébergées par une bénévole de l’association Welcome. © Radio France – Flavien Groyer

Rouen, France

C’est une histoire digne d’un véritable cauchemar que vous révèle France Bleu Normandie. Au départ, Wilma, Lilianna et Jennifer ne se connaissent pas du tout. Wilma, vénézuélienne, veut se rendre à Genève, en Suisse, pour rendre visite à son fils de 20 ans qui est très malade. Lilianna, elle, a décidé de prendre quelques jours de vacances à Madrid tout comme Jennifer. Toutes deux sont colombiennes. Contrôlées par la police aux frontières à l’aéroport de Roissy, elle sont ensuite placées en garde à vue puis en rétention administrative. Un abus de procédure selon le tribunal de Rouen.

Fin de voyage à l’aéroport de Roissy

Les trois touristes arrivent à Paris à la fin juillet à des dates différentes. Elles ont un point commun : elles sont en transit et doivent prendre une correspondance, soit pour Genève soit pour Madrid. Elles n’ont pas pour projet de rester en France.

Jennifer arrive le 22 juillet. Ce voyage est un cadeau de ses parents pour ses 23 ans. Elle bénéficie d’un voyage tout compris (vol et séjours à l’hôtel), pour 38 jours. La police aux frontière lui demande de combien d’argent elle dispose sur elle, et si elle a une réservation d’hôtel le temps de prendre son vol pour Madrid. Elle a 36 euros en liquide et aucune réservation d’hôtel, elle pensait pouvoir dormir dans l’aéroport. L’agent lui dit alors que c’est impossible. On lui prend son passeport et elle est placée en zone d’attente. Elle retrouve Liliana, arrivée un peu plus tôt. Même scénario pour cette autre jeune fille. On notifiera plus tard à Jennifer que sa réservation d’hôtel à Madrid n’est pas valide, ce qu’elle conteste.

Le scénario est un peu différent pour Wilma. Elle arrive le 29 juillet à Roissy-Charles de Gaulle. Son but ? Se rendre à Genève en Suisse. Elle doit aller au chevet de son fils hospitalisé là-bas. Les agents de la police aux frontières lui expliquent qu’elle n’a pas assez d’argent sur elle et qu’il lui manque un document : une attestation d’hébergement en Suisse. C’est obligatoire pour les touristes étrangers entrant dans l’espace Shengen.

De la garde à vue au centre de rétention

Wilma, Liliana et Jennifer auront toutes trois été brièvement en garde à vue. Elles sont ensuite placées en rétention administrative dans le centre ZAPI 3 (Zone d’attente de personnes en instance), tout près de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Une décision de la préfecture de Seine-Saint-Denis. Dans ce centre, on remet aux trois sud-américaines, une serviette, du dentifrice, une brosse à dents, du shampoing et deux draps. On leur enlève les appareils photos et même les téléphones.

« Nous avons été traitées comme des criminelles » – Wilma, qui a passé douze jours en centre de rétention

Le centre bénéfice d’ordinateurs et d’internet. Wilma demande à ses proches en Suisse de lui envoyer l’attestation nécessaire pour rentrer dans le pays. L’attestation reçue, elle n’est pas recevable selon un officier. Le père de son fils lui envoie une photo du jeune homme pour montrer qu’il est hospitalisé et malade. Il souffre d’une dystrophie musculaire dégénérative : « J’avais une bonne raison d’aller en Suisse, je devais voir mon fils malade » explique Wilma. Rien n’y fait. On lui propose trois fois de repartir en Colombie, elle refuse. Elle est prise en photo, on lui prend ses empreintes : « Nous avons été traitées comme des criminelles » raconte t-elle. En tout, elle sera restée 12 jours en rétention dans ce centre ZAPI 3.

« On me considérait comme une immigrante illégale, c’est terrible » – Jennifer

Jennifer, 23 ans, passera de son côté deux fois devant un juge. Elle a désormais tous les documents qu’elle a pu se procurer grâce aux ordinateurs à disposition : réservation d’hôtel valide, une assurance, une carte de débit active et l’argent nécessaire. Le juge décide néanmoins de la laisser en rétention huit jours de plus. Elle aussi refuse à trois reprises de retourner en Colombie. Elle est désormais en état d’arrestation. Elle est considérée comme hors-la-loi. « J’avais l’impression qu’on me considérait comme une immigrante illégale, c’est terrible » ajoute Jennifer.

Les touristes ne cessent d’expliquer qu’elles n’ont aucune intention de rester en France

Elles n’ont pourtant jamais cessé d’expliquer qu’elles n’avaient aucune intention de rester en France, que leur destination n’est pas la France mais bien Madrid et Genève. Mais même la preuve de leur voyage retour dans leur pays ne change rien. Wilma, Liliana et Jennifer sont ensuite transférées à Oissel, au sud de Rouen. Elles vont s’y rendre toutes les trois dans le même fourgon. 

Sur la route du deuxième centre de rétention, les policiers se moquent d’elles 

Dans le fourgon, elles ne savent pas où elles vont. Elles passent des péages, mais c’est l’inconnu. Les policiers présents dans le véhicule – cinq au total – se seraient moqués d’elles. Le voyage va durer trois heures. Une fois au centre de rétention de Oissel, on les nourrit et elles sont prises en charge par des médecins. Jennifer n’est pas très bien. Il y a cinq ans, elle a eu un cancer du colon. Elle va mieux désormais mais doit prendre des médicaments. Sauf qu’ils sont dans sa valise restée à Roissy. Une absence de traitement qui la rendra très malade.  

A Rouen, le tribunal libère Wilma, Lilianna et Jennifer

Les trois touristes sont convoquées au tribunal de Rouen le dimanche 11 août. Une avocate rouennaise, Bérengère Gravelotte, est commise d’office. Lors de cette audience, le juge des libertés et de la détention est clair : rien ne justifiait un tel traitement. Pour lui, la rétention est irrégulière. Wilma, Lilianna et Jennifer sont libres. La préfecture de Seine-Saint-Denis doit payer les frais d’avocat.

« Elles ont réussi à avoir toutes les garanties mais ça ne suffisait pas » – L’avocate des touristes, qui dénonce une procédure non justifiée  

« Juridiquement, quand des touristes sont en transit entre plusieurs pays de l’espace Shengen, il faut qu’ils justifient de plusieurs documents. Un passeport, des garanties financières, la justification d’un hébergement dans le pays de destination finale etc… » explique maître Gravelotte. « Elles ne justifiaient pas de tous les documents mais le placement en zone d’attente permet de les récupérer et de tout justifier. Au final, elles ont réussi à avoir toutes les garanties mais ça ne suffisait pas ». Selon elle, il n’y avait pas lieu de les placer en rétention plus longtemps.

Selon l’avocate, la garde à vue à Roissy n’était pas justifiée : « Elle a seulement servi à réaliser une nouvelle vérification dans les fichiers de la PAF, ce qui avait déjà été fait aux contrôles. C’était inutile. Pour moi, cette garde à vue était un prétexte pour que la préfecture de Seine-Saint-Denis ait le temps de prendre deux arrêtés : une mesure d’éloignement du territoire français et un placement en rétention ». 

Une fois libres, elles sont abandonnées sur le bord de la route

« On nous a demandé de partir très rapidement du centre de Oissel », se souvient Lilianna. A peine le temps de récupérer leurs quelques affaires, les trois sud-américaines se retrouvent sur le trottoir, le dimanche 11 août. Jennifer ne cesse de vomir, elle est très malade. Elles ont en leur possession un récépissé pour récupérer leur passeport à la préfecture de Bobigny.

Adriana, la bénévole qui héberge les trois touristes, Wilma, Liliana, Elsa qui les a recueillies sur le bord de la route, et Jennifer et - Radio France
Adriana, la bénévole qui héberge les trois touristes, Wilma, Liliana, Elsa qui les a recueillies sur le bord de la route, et Jennifer et © Radio France – Flavien Groyer

C’est là qu’Elsa s’arrête : « J’étais obligée, je les ai vues en détresse. On ne laisse pas trois femmes en détresse ». Elle continue : « Au bout d’un moment, on arrive à se comprendre. Je comprends où elles doivent se rendre et je leur montre sur une carte. Elles s’effondrent ».

Elles ont compris qu’elles ne pourront pas récupérer leur passeport tout de suite » – Elsa, qui a recueilli les trois touristes

Elsa décide de les emmener chez elle. Elles y dormiront plusieurs jours : « Heureusement, j’avais gardé des vieux matelas chez moi, elles ont dormi dans le salon » confie-t-elle.

Une procédure sans fin

De son côté, la préfecture de Seine Saint Denis fait appel de décision du juge de Rouen. Selon eux et la déclaration d’appel que nous avons pu consulter, le tribunal de Rouen n’a pas les compétences pour statuer sur cette affaire. De plus, si on prend le cas de Wilma, la garde à vue serait justifiée car elle a refusé de monter dans un vol retour vers Caracas dans le cadre d’une mesure de refus d’entrée. Or, Maître Gravelotte utilise un avis du conseil d’état du 28 juin 2019 pour la défense : on ne peut pas lancer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) quand la personne est en transit aéroportuaire.

En appel, lors d’une audience le mardi 13 août, le juge rouennais confirme l’annulation de la rétention. Rien ne justifiait la garde à vue ni la rétention.

Ecoutez le témoignage d’Elsa. C’elle est qui a récupéré Wilma, Liliana et Jennifer sur le bord de la route.

« Les familles se font un sang d’encre à l’autre bout du monde. Cela met tout le monde dans un stress intense » – Elsa

Elsa a ensuite décidé de passer le relais. C’est Adriana, une bénévole de l’association Welcome qui héberge désormais les trois touristes

Quel avenir pour les trois touristes ?

Les trois touristes sont toujours sous le coup d’une procédure d’éloignement. « J’ai demandé un recours au tribunal administratif de Rouen pour qu’il l’annule. Le délai avant une audience peut atteindre les six semaines » explique l’avocate.  Elle continue : « Je me concentre là dessus aujourd’hui ». Par ce recours, la procédure d’éloignement est suspendue. Wilma, Liliana et Jennifer ont donc la possibilité de rentrer chez elles.

Je n’explique pas ce qui s’est passé. Je ne comprends pas. Ce que je sais c’est qu’il y a eu abus dans la procédure. Le juge l’a confirmé » – Maître Bérengère Gravelotte.

Maître Gravelotte nous a confirmé qu’une demande de dommages et intérêts est envisagée. Aujourd’hui,  les trois touristes ont une image catastrophique de la France. Jennifer et Lilianna n’ont qu’une seule envie : repartir en Colombie et oublier à jamais cette terrible mésaventure. Il n’est pas question de rentrer pour Wilma, elle veut se rendre à Genève comme prévu : « Je veux qu’on me laisse partir, s’il vous plaît, je veux qu’on me laisse partir voir mon fils » implore t-elle, en larmes.

Chacune leur tour, à notre micro, elles auront un mot pour les femmes qui les ont aidées : Elsa, Adriana et leur avocate. Pendant son récit, Jennifer a cette phrase  : « Mon voyage à Madrid devait durer 38 jours, j’ai en déjà passé 28 en France ».

Ecoutez l’histoire de Wilma. En transit en France, elle devait prendre un vol pour Genève en Suisse