Duékoué, un témoignage

Témoignage du massacre de Duekoué sur glane 28 mars 2011 .lu pour vous….Le récit d’une nuit tragique !!
Avant tout propos, j’aimerais rendre Hommage à nos parents qui ont péri dans ce génocide Wê à Duékoué. Un massacre qui a duré 8 jours, avec 1800 personnes exécutées , toutes ensevelies dans 4 fosses communes.😭
Claudine Hermine Cojan

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Lundi 28 Mars 2011, il est environ 1h du matin, et nous pouvons entendre sur la route de Bangolo des tirs assourdissants. Tous, réveillés(dans notre nouvelle maison. Nous avons déménagé du quartier guéré pour le quartier antenne, car les dozos avaient brûlé le quartier guéré avant cette date.), j’attendais mon père entrain de rassurer en ces termes : <<vous devriez être habitué maintenant, parce que chaque lundi ils attaquent. Mais c’est juste pour quelques heures, et les choses reviendront à la normale >>. Après les propos de mon père, chacun faisait l’effort de garder sa sérénité, mais les tirs persistaient, et on entendait des armes lourdes retentir. Plus le temps passe, plus les tirs se faisaient entendre de l’intérieur, comme de l’extérieur de la ville.

On a fini alors par réaliser que ce n’était pas le scénario au quel nous étions habitués. On tend vers 5h du matin, et depuis la maison, on pouvait entendre les mouvements de panique et des voix qui disaient <<sortez de vous maisons, rendez vous tous à la mission catholique, car ils ont prit Duékoué !! >>. Paniqué dans la maison, on se demande ce qu’il faut bien faire. Mon père se trouvons dans l’incapacité face à cette situation, s’adressait à nous : <<pas question de sortir sous cette pluie de balles, si nous devons mourir, il faudrait que ça soit dans la maison >>. J’attends ma mère qui réplique : <<pas question !! Je préfère mourir en courant que, de m’asseoir et attendre à ce que les dozos viennent m’egorger>>. c’est ainsi que mon père a ouvert la porte et nous nous sommes mis en route pour la mission catholique. En route, on sautait des corps sans vie, nous étions vraiment animés d’une peur qui ne disait pas son nom, mais la famille était ensemble, mains dans la main, jusqu’à ce qu’on abatte un homme à quelque mettre de nous. Et c’est ce tir qui va disperser la famille. Chacun est allé de son côté. C’est deux semaines après que je retrouve le reste des membres de ma famille à la mission catholique.
Je remercie Dieu d’avoir épargné ma vie, mais en même temps j’ai les larmes aux yeux pour mes amis d’enfance, pour mes parents et mes voisins de classe qui ont perdu leurs vies dans ce massacre. Ma pensée va à l’endroit de tous ces wês ( la plus part ne connaissait pas la politique) qui ont été tué atrocement.
ON PEUT PARDONNER, JE DIRAIS MÊME QU’ON PARDONNE. MAIS ON NE PEUT PAS OUBLIER. CAR OUBLIER, C’EST PERDRE LA MÉMOIRE.

28 MARS 2011 – 28 MARS 2019

Massacres des populations civiles de Duékoué-carrefour :
L’histoire effroyable d’un génocide planifié

Le mystère des tueries massives perpétrées contre les populations Guéré, le 29 mars 2011, à Duékoué par les forces armées pro-Ouattara, se dévoile progressivement. Nous nous sommes rendus à Duékoué-carrefour, théâtre des massacres pour interroger les rares rescapés qui cohabitent aujourd’hui avec les fosses communes faites par l’Onuci.

Certaines maisons calcinées, ouvertes et sans toitures. D’autres, incendiées à moitié portant les stigmates des flammes et des impacts de balles. Dans ce décor macabre, règne un silence de mort. Nous sommes à Duékoué, quartier carrefour (488 km d’Abidjan, extrême Ouest du pays). Important bourgade de Duékoué, peuplé uniquement d’autochtones Guéré et particulièrement pris pour cible par les forces armées pro-Ouattara pendant la crise postélectorale. Avant cette crise, la population dudit quartier était estimée à environ 10 mille habitants. Mais après les massacres, c’est à peine le tiers des habitants que nous avons trouvé sur place en cette fin de mois de septembre 2011.

Duékoué tombé aux mains des forces pro-Ouattara, le lundi 28 mars dernier

Les tueries par milliers commises à Duékoué-carrefour ont une histoire. Remontons donc au lundi 28 mars 2011, aux premières heures du jour. Puisque ce jour-là, la ville de Duékoué était le théâtre d’intenses combats entre les forces armées régulières de Côte d’Ivoire (Fds) et les forces armées pro-Ouattara constituées de combattants de la rébellion armée des Fafn ainsi que de mercenaires burkinabés. A ces derniers, il faut ajouter les chasseurs traditionnels malinkés communément appelés « dozos », reconnaissables par leurs innombrables gris-gris. Mais également par les machettes, les sabres et les fusils dont ils sont munis. Après avoir tué leurs « ennemis », les dozos les égorgent suivant des rituels cabalistiques. Ce 28 mars donc, les forces armées pro-Ouattara étaient appuyées, au dire des populations rescapées, des soldats de l’Onuci lors des combats contre les Fds. Ayant débuté au petit matin, les combats se sont achevés aux environs de 18h. Heure à laquelle, les forces armées pro-Ouattara aidées de l’Onuci sont arrivées à bout de l’armée régulière ivoirienne dont certains militaires se sont repliés sur Guiglo (30km de Duékoué).

A la faveur de la nuit et de l’accalmie sur le théâtre des opérations, certaines populations civiles ont quitté le quartier carrefour pour se réfugier dans la forêt. D’autres ont couru vers le camp onusien du contingent marocain situé à l’entrée de Duékoué (route de Daloa). Evidemment, les jeunes autochtones, membres groupes locaux d’autodéfense (qualifiés de miliciens par l’Onuci) basés au quartier carrefour qui est, en fait leur village, ont pris le large après le repli des Fds sur Guiglo. Les populations restées sur place se sont terrées dans leurs maisons ou dans des églises. Il en est de même partout dans la ville de Duékoué, chef lieu de département dans la région du moyen-Cavally. Les autochtones Guérés ont pris d’assaut les églises de la ville, pensant y échapper à la furia des forces armées pro-Ouattara. Ce fut une grossière erreur ! Le chef de guerre pro-Ouattara, d’origine burkinabé, Amadé Ouéremi (vêtu tantôt en tenue de dozos, tantôt treillis arborant le macaron Frci) et ses 500 hommes venus du mont Péko, furent sans pitié pour les populations civiles qui n’ont pu fuir la ville. Les témoignages des rescapés des massacres du quartier carrefour sont insupportables.

Amadé Ouérémi et ses hommes n’ont fait aucun tri

« Oulognion, ohowê ». Cette phrase en langue Wê (Guéré) signifie littéralement « l’être humain ne finit pas ». Sa signification exprime l’émotion forte dans un contexte où des humains sont massacrés délibérément en grand nombre. Mais en même temps, les populations martyrisées se consolent en se disant qu’il y aura des survivants pour assurer la pérennité humaine. En tout cas, « Oulognion ohowê » s’applique parfaitement aujourd hui à Duékoué-carrefour après la boucherie qui y a eu cours. « Amadé et ses hommes dans le plan d’attaque des Frci contre Duékoué sont chargés de la zone comprenant Duékoué-carrefour. Ainsi, partis de la forêt classée du mont Péko, leur fief, ils sont parvenus à Duékoué-carrefour », révèle un responsable administratif proche de la direction locale des Frci. Mais avant d’arriver à Duékoué, poursuit la même source, Amadé et ses combattants n’ont épargné aucun village situé sur leur passage. Des tueries massives comme à Duékoué-carrefour ont été donc commises dans les villages. « Parce qu’il fallait casser du Guéré, peu importe son bord politique ou religieux. Comme on dit, Guéré, c’est Guéré ! », précise une jeune rescapée en larmes.

« On continue de retrouver les corps des victimes grâce aux habits qu’ils portaient parce que les habits ne pourrissent pas vite », poursuit-elle. Avant d’ajouter que la découverte des corps effroyablement mutilés est encore fréquente en brousse sur les axes menant aux villages tels que Blodi, Zia, Yorozon, Bagohouo, Nidrou,Sibably, Ponan. Si bien qu’aujourd’hui, on ne peut pas chiffrer avec exactitude le nombre de civils exécutés sommairement. Toutefois, des témoignages coordonnants recueillis auprès des rescapés de Duékoué-carrefour, parlent de 2 700 tués. « Il n’y a pas longtemps, à moins d’un kilomètre d’ici, on a découvert le corps sans vie du père de l’artiste musicien Pahin Lenou dans un champ », raconte la jeune rescapée. Ses camarades et elle affirment avoir identifié formellement quelques auteurs du génocide commis à Duékoué-carrefour et ses alentours. « Quand ils cassaient les maisons, pillaient et tuaient, ils disaient tuez-les tous, comme ça, ils vont laisser les forêts », raconte une dame rescapée, qui a requis l’anonymat. En plus des motifs fonciers, il y a des raisons politiques. « C’est à cause de Laurent Gbagbo que vous avez des problèmes. L’affaire de Gbagbo qui est dans votre tête est trop. On va vous tuez, comme ça, ça va finir », soutenaient les bourreaux, au dire des rescapés.

Pour dame Colette, une rescapée, qui a déjà livré ses témoignages dans certains médias occidentaux, la boucherie sauvage dont a été victime son village ne peut nullement « les détourner de Laurent Gbagbo quoique renversé par les Blancs ». Puis qu’elle clame à qui veut l’entendre qu’elle « est Gbagbo et demeure Gbagbo » même si on la tue. Et de poursuivre en dépit de l’émotion qui l’étreint. « Ici à Duékoué-carrefour, on a tué tout le monde. Quand les Frci sont arrivées, ils ont dit qu’ils ne tuent pas les femmes. Mais ils ont tué les femmes, les enfants et les hommes. Pour preuve, ils ont tué la vieille Ouli Jeannette. Elle a été égorgée. Les vieux, les femmes, les jeunes et les bébés qui ont été découpés ». Dame Martine, les larmes aux yeux, s’attarde sur les atrocités dont se sont rendus coupables Amadé Ouéremi et ses hommes à Sibably. « Ablo (un jeune élément des forces pro-Ouattara, ndlr), lui, pour tuer, il filme d’abord ses futures victimes à l’aide d’un appareil photographique. Lui-même n’apparait pas dans le film. Il éprouvait un réel plaisir d’écouter les pleurs de ses victimes avant leur mise à mort. Puisqu’il ne se gênait pas de dire que le Guéré est agréable à tuer parce qu’il parle comme le coq », raconte- t-elle. La plupart des rescapés trouvés sur place à Duékoué-carrefour sont des femmes. Leurs époux ayant été exécutés sommairement après la prise de Duékoué par les forces armées pro-Ouattara. Et pourtant, les femmes soutiennent avoir prévenu les casques de l’Onu des massacres imminents.

L’Onuci n’a rien fait pour prévenir les massacres des populations civiles

L’Onuci qui d’ordinaire clame à qui veut l’entendre qu’elle est là pour protéger les populations civiles a été inactive à Duékoué. Les soldats du contingent marocain sont restés passifs devant les massacres des populations aux mains nues. L’Onuci a laissé les forces pro-Ouattara massacrer les populations civiles. Pourquoi cette non assistance à personne en danger ?
D’autant que les milliers de femmes et d’enfants qui se ruaient à la mission catholique de la ville, ce mardi 29 mars 2011, ont adressé un S.O.S aux soldats onusiens présents sur les lieux. « Les femmes ont informé l’Onuci que leurs époux et leurs fils sont aux mains des Frci. Mais l’Onuci a refusé d’intervenir. C’est ainsi que tout le monde a été tué, ce jour-là », explique notre interlocuteur proche de la direction locale des Frci. Les forces pro-Ouattara ont initié un contrôle d’identité qui leur a permis d’identifier formellement les autochtones Guéré avant de les exécuter. Comme le voit, le procédé était similaire à celui pratiqué en 1994 au Rwanda contre les Tutsi. C’est tout le sens du génocide contre les Guérés à Duékoué. Cette planification a même conduit les forces pro-Ouattara à exécuter des pasteurs et des religieux en soutane parce qu’ils sont des Guérés. « Il y a un pasteur en soutane qui avait approché les Frci pour demander leur clémence afin qu’ils ne s’attaquent pas à son église. Ils lui ont demandé de prier et après ça, ils l’ont abattu avant d’abattre ses fidèles restés à l’église », soutient un rescapé des faits. Une importante église évangélique au cœur du quartier carrefour a été brûlée à l’aide d’explosifs de guerre alors que cette chapelle était bondée de refugiés. Là, les témoignages concordants parlent d’au moins 100 personnes ayant péries dans les flammes. «Une américaine est passée ici au moment où il y avait encore les ossements humains des gens incendiés à l’église. Elle n’a pas retenu ses larmes», a révélé une dame rescapée du secteur sinistré.

Lors de notre passage, les ruines de cette église dénommée « Eglise de Jésus christ, le sauveur » étaient visibles. Mais les ossements humains avaient été ramassés. Les soldats onusiens ‘ont pas investi la broussaille qui environne Duékoué pour y ramasser les corps sans vie, cependant ils se sont attelés à ramasser ceux trainant pêle-mêle dans la ville. Ainsi, dans le seul quartier de Duékoué-carrefour, 6 fosses communes ont été confectionnées à la hâte par l’Onuci. La fosse commune la plus grande reste celle creusée dans les marécages par l’Onuci en face de l’entrée de Duékoué-carrefour. Ce charnier contiendrait 54 corps.

Des traumatismes à vie

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les rescapés de Duékoué-carrefour traineront à vie des traumatismes. Tant les cruautés vécues sont indescriptibles. « Où on est ici, on est toujours étourdi. Quand on entend le bruit d’un véhicule qui entre dans le village, on cherche à se cacher. Pensant que ce sont nos agresseurs qui reviennent à la charge », explique une dame. Cette psychose touche également les enfants. « Le 6 septembre dernier à l’école primaire publique Carrefour 1, les écoliers étaient dans la cour attendant l’heure de la composition pour l’entrée en 6ème et du Cepe. A la vue des véhicules des Frci venues pour la sécurité, il y a eu débandade au sein des enfants. Ils fuyaient pour se cacher dans les herbes, en criant. Les candidats sont revenus dans les salles quand les Frci ont quitté précipitamment l’école », rapporte avec émotion un examinateur.

Félix Téha Dessrait in Notre Voie
dessrait@yahoo.fr
envoyé spécial dans l’Ouest
Vendredi 7 Octobre 2011