Emile Boga Doudou, une mort programmée

BOGA DOUDOU
Une mort programmée

Les dés sont lancés. Tout est prêt. Cependant la date du 7 Août 2002 pour l’attaque est à revoir. Le ministre ivoirien de l’intérieur Emile Boga Doudou est sur le qui-vive. Tous les services sont en alerte. Une livraison d’armes venant du nouveau partenaire angolais est attendu. Aussi, les contacts Biélorusses du Chef d’Etat Major sont en route pour Abidjan avec un arsenal très imposant, ce qui affole l’Elysée. Ces experts en armement lourds sont dépêchés sur Abidjan pour former une armée en déliquescence. Il y a surtout la méfiance envers les MUNISCA, c’est comme ça qu’on désigne les expérimentés soldats qui étaient en mission de maintien de paix. Selon les renseignements militaires, ils ont été approchés par des officiers français et depuis, on les suit à la trace cars des réunions secrètes ont lieu ça et là à Koumassi et Abobo.

La date du 7 août est abandonné. Il faut aussi ne pas exposer tous les soldats. Pour se faire, un recrutement de cobayes est fait parmi les « frustrés ». Les « frustrés » ce sont ces burkinabés chassés des terres du sud ouest et qui sont rentrés bredouilles au pays. Ils en ont gros sur cœur. Il leur est promis 5 millions à chacun pour un engagement. Ils iront au devant et se disperseront dans le tout Abidjan pour faire diversion. Une petite session de formation au tir leur est nécessaire. 82 personnes sont ainsi recrutées et formée au Centre d’entrainement commandos de Pô dans le Centre-Sud du Burkina Faso. Une formation accélérée leur est prodiguée. Mais ils ne sont pas dupes, il veulent être payés avant le départ.

Juliette D. était fondé de pouvoir à la BCEAO. Pour des raisons de sécurité, c’est comme ça que nous la nommerons. Elle a dîné avec son collègue Sia Popo Prosper le 10 Août 2002. Bizarre, en 6 ans de service, il ne l’a presque jamais abordée. Mais depuis 3 jours, il lui fait du rentre-dedans. Elle est célibataire et mère d’un petit garçon. Elle accepte de dîner pour mieux faire connaissance. Et entre adultes consentants, la soirée va se terminer au Pullman Hotel. Il faut dire que Prosper a mis le paquet. Tout le week-end va permettre un rapprochement entre les deux collègues de la BCEAO. Juliette est dida. Elle a aussi la particularité de manipuler très souvent à cause de son poste, les codes d’accès au coffre. Pendant les jours qui vont suivre, elle sera l’objet de toutes les attentions de Prosper Sia Popo. Lui, avec la complicité de plusieurs quidams de la pègre abidjanaise, prépare une opération d’envergure pour le casse du siècle.

Nous sommes le 27 Août 2002, il est 20h 54. Sia Popo revient dans les locaux de la BCEAO. la sécurité le laisse entrer sans problème. Il est suivi d’une camionnette d’agents d’entretien. Les gardes ne trouvent rien d’anormal. Une fois dans les locaux, Sia Popo fait diversion et les agent d’entretien se dirigent vers le coffre. Seulement voila, les codes ont changé. Pas de panique, le plan B est mis en marche. Prosper Sia Popo appelle sa nouvelle dulcinée qui ne lui résiste pas et vient le rejoindre dans les locaux de la BCEAO. Elle est convaincue que c’est pour une gâterie coquine donc, elle est arrivée sans sa petite culotte. Mais une fois à l’intérieur, elle va vite déchanter. Mise devant le fait, et surtout sous la menace, elle leur explique que le code ne sera plus valable à 00.01. Il est 23.49. Il faut faire vite. Juliette réfléchit à donner l’alerte, mais elle va se rendre compte que des agents de sécurités sont dans le coup. L’argent est disposé dans des cartons, les cartons et des dossiers posés dessus. En tout, 2 milliards 356 millions de francs CFA sont dérobés.

Il faut vite quitter le pays. Dans cette nuit, Juliette est bouleversée. Elle habite Marcory mais prend la direction des Jardins de la Riviera, chez sa cousine. Sia Popo rémunère tous les acteurs à 15 millions chacun et sa fuite est couverte. A Marcory, Youssouf l’attend. Youssouf est ce qu’on appelle une lessiveur. Vous lui remettez toute somme et toute sorte de devises, il vous le rend dans le pays de votre choix et dans la devise de votre choix. C’est un réseau connu de tous les commerçants, tous les voyageurs, et tous les hommes d’affaires. Il a à charge de lessiver 2 milliards 112 millions, à destination du Burkina Faso, de la France et de l’Allemagne.

Prosper Sia Popo part pour Kumassi au Ghana où il se change le 2 septembre 2002 et s’appelle désormais John Acqah et il est ghanéen. Il y passe 2 nuits, puis rejoint Accra quand on lui fait signe que la voie est libre. Sur place, il obtient un visa pour l’Allemagne, ce sera sa porte de sortie pense-t-il. Puis il rejoint Ouagadougou. Mais il ne se sent plus en sécurité. Un doute persiste. La BCEAO vient d’annoncer que ce sont plutôt 20 milliards qui ont été volés et non 2 milliards.

Prosper Sia Popo séjourne d’abord à l’hôtel Le Silmandé, un luxueux hôtel de 4 étoiles, non loin du barrage numéro 3. De là, il contacte ses commanditaires. La confiance est loin de régner. Sia Popo remet l’argent aux envoyés du Colonel Djibril Bassollé, le ministre Burkinabé de l’intérieur. Il fait semblant de rentrer en chambre et disparaît dans la nuit de Ouaga et va prendre ses quartiers au Palm Beach Hôtel de Ouagadougou qui surplombe l’avenue Kwamé Nkruma. Il ignore que les services de renseignement Burkinabé sont à ses trousses et savent où il dort. Quelques jours à se fondre dans la population et il se croit hors d’atteinte. John Acqah prend un billet SN Brussels à Destination de Francfort am Mainz en Allemagne via Bruxelles. Il sera arrêté à l’aéroport de Ouagadougou, le 3 septembre 2002, officiellement, parce que, pour un anglophone, il parlait trop bien français sans accent.

Sai Popo Prosper alias John Aqah, ne comprend pas pourquoi ses amis d’hier tiennent à l’extrader forcément sur Abidjan. Alors entre en jeux les prestigieux hôtes du Burkina Faso. En présence de Shérif Ousmane et Tuo Fozié, on lui explique que lors de l’attaque, il sera libéré dans la confusion. A sa question de savoir comment le commando saura où il sera détenu, IB éclate de rire…
Oui, le pouvoir de Laurent Gbagbo est infiltré jusqu’au plus hautes personnalités.

-Episode 15-
Boga DOUDOU
Une mort programmée

Balla Kéita est mort. Sia Popo Prosper arrêté. Les recrutés maliens sont aux portes d’Abidjan. Ceux du Burkina Faso sont très surveillés par le pouvoir Gbagbo avec à leur tête le Ministre de l’intérieur Emile Boga DOUDOU. On vient d’apprendre que ce dernier s’est rapproché de l’homme référent, un illustre prédécesseur, respecté et craint par Djibril Bassolé, le Colonel Emile Constant Bombé.

Émile Constant Bombet était passé maître de la surveillance et du renseignement. Tout le monde le craignait. Homme de l’ombre et très discret, il fut Ministre de l’intérieur sous Henri Konan Bédié. Grand serviteur de l’Etat et homme pieux et d’aucuns disent très charismatique (il aurait eu une apparition mariale à son domicile de Korhogo), il avait été Préfet de Région de Korhogo et maîtrisait parfaitement le nord où il avait un réseau d’intelligence encore actif. Serviteur de l’État et fidèle patriote, il a la rigueur même dans la démarche. La Nation est en danger, sa contribution est nécessaire. Il exige alors que soit rappelé à Abidjan le détaché militaire à l’Ambassade de Côte d’Ivoire au Burkina Faso le Colonel Barnabé Depeu, son ami et ses oreilles. Le Colonel Barnabé Depeu arrive à Abidjan à la mi-août et révèle avec détails et précision tout ce qui se passe sous les tropiques ouagalaises. Oui, Bombet aussi avait ses hommes et ses femmes partout dans le Burkina voisin en plus, son frère est le Commandant des forces terrestres.

Le Ministre Boga Doudou croit bon, d’informer les membres du gouvernement. Il n’est pas encore rompu à la chose de l’Etat, à la discrétion que lui inflige son poste de numéro 2 du gouvernement.
Tapis dans l’ombre, un traître est au sommet de l’Etat. Il écoute, analyse et conseille même. Comment le soupçonner de quoi que ce soit ? Il a la confiance absolue du chef de l’Etat, Président de la République. Mais l’étau se resserre sur lui.

A Ouagadougou, les choses se précisent. Une date est toute trouvée : la date anniversaire du COMPLOT DU CHEVAL BLANC, 18 septembre 2000, le jour où Guéi a trahi et fait un coup d’Etat, dans le coup d’État qui avait été taillé pour lui. Il avait fait assassiner les hommes d’Ibrahim Coulibaly dit IB. Les financiers en ont marre de ce pouvoir des professeurs. A leur tête Mr Michel Tizon, Président de la chambre de commerce et d’industrie française en Côte d’Ivoire. Il n’apprécie pas du tout l’arrogance du Ministre Bohoun Bouabré et du Président de l’Assemblée Nationale Mamadou Coulibaly qui désormais, vaillamment, mettent en place un impôt pour les entreprises françaises. Le vieux déchu et revanchard Henri Konan Bédié n’a toujours pas digéré le pillage de sa résidence de Daoukro. Le président Blaise Compaoré n’aime pas la défiance de Laurent Gbagbo et surtout l’arrogance de son Ministre Emile Boga Doudou.
Une liste de personnalité à abattre est dressée.
* Emile Boga Doudou (à la demande personnelle de Blaise Compaoré)
* Robert Guéi (à la demande conjointe de Ibrahim Coulibaly, d’Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bédié)
* Le Général Bombet des forces terrestres (à la demande de Djibril Bassolé)
* Tapé Koulou (à la demande Sherif Ousmane qui n’a pas digéré que ce dernier ait eu des rapports sexuels avec quelqu’un de son entourage immédiat)
* Moise Lida Kouassi, Mathias Doué et Touvoli Bi Zoro (à la demande personnelle d’Ibrahim Coulibaly pour raison tactique)
* Mgr Bernard Agré, Mgr Joseph Aké et Mgr Marie Daniel Dadié sur recommandation du traître de la cathédrale.
– Cette liste n’est pas complète, ce sont les personnalités les plus importantes ciblées –

La contribution de Charles Taylor est sollicitée. Il doit livrer ses chiens de guerre. Mais Taylor ne trouve pas son compte dans le partage d’un butin hypothétique. Alors Bédié lui garantit l’ouest et toutes les richesses minières qui s’y trouveraient. Mais à l’Elysée, on conseille surtout de ne pas installer le futur Président à la manière Kabila, il faut contraindre Laurent Gbagbo à aller aux élections.

Mais le pouvoir d’Abidjan est à cran. La méfiance est de mise. Il faut décompresser les choses. Alors l’Elysée va entrer en jeu. Le ministre français des affaires étrangères et de la Coopération, Dominique de Villepin va se proposer pour un rapprochement entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso au travers de leur Ministre respectif de l’Intérieur. Il va convaincre Boga Doudou de la nécessité d’un dialogue franc en territoire neutre, à Paris au frais de la France. Avant de s’envoler pour partir, le Ministre tient à connaître les implications internes. Il est urgent de démasquer les complices infiltrés. La rencontre a lieu le 17 septembre au palace hôtel Napoléon non loin des champs Elysées. Boga Doudou ne remarque pas ce bout d’homme qui dans une salle voisine, l’observe et qui bientôt, va rentrer dans l’arène politique ivoirienne avec fracas. Il a été ramené d’Allemagne où il se cachait, pour prendre la tête du mouvement qui est en préparation : Soro Kigbafori Guillaume. Il est accompagné de son lieutenant et ami personnel Konaté Sidiki.

Boga Doudou rentre le 18 septembre 2002 à Abidjan. Dans le débriefing qui lui est fait au salon VIP par le Lieutenant Seri Gnoleba il apprendra que la conjugaison des efforts d’intelligence des différents services de renseignements a payé. Le traitre est découvert : Pascal AFFI N’guessan.

Mouhamadou Soumahoro
Journaliste d’investigation
Generations Africaines Conscientes

Ps// Le prochain épisode sera le dernier sur cette question de 2002. Les financiers, les implications intérieures et extérieures, la planification de l’attaque.

Mouhamadou Soumahoro
Journaliste d’investigation
Generations Africaines Conscientes